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volumes, dans leur forme, dans l’ensemble de leur impression, quelque chose qui éloignait l’idée de l’injure ; l’épigraphe seule pouvait arrêter le lecteur : « Vous n’êtes pas un peuple moral, et vous le savez sans qu’un poète trop sincère vous le dise. » Cette citation de Byron est nette et dure. Cependant elle a le mérite de la franchise annoncée, et l’on peut, après réflexion, chercher, dans la préface, un commentaire à ce jugement, en deux lignes.

En effet, la préface débute par des excuses. Ce n’est, dit-elle, que dans leur sens précis qu’il faut prendre les vers placés à la première page du livre, et non comme appliqués à la nation française. Il est difficile de comprendre cette distinction ; mais elle est trop polie pour que l’on en dispute. C’est plutôt à ses compatriotes que l’auteur semble vouloir s’attaquer, et l’on croirait, à ses précautions préliminaires, qu’il tient un peu plus à nous qu’à eux. Il les blâme de leur goût éternel à transporter la vieille Angleterre dans leur malle de voyage, et de ne visiter le continent que pour voir, ou plutôt pour avoir vu. « Je vous ai suivis, leur dit-il, dans vos courses à l’étranger, où vous n’apparaissez pas à votre avantage. Je vous étonnerai, je vous offenserai peut-être en vous disant qu’un Français de bonne naissance et d’éducation soignée est beaucoup plus moral que vous ne l’êtes vous-mêmes, — dans le sens purement social, en ce qui touche aux liens de l’amour ou du mariage, — et cela parce que vous êtes réellement enthousiastes et réellement pleins de cœur, lorsqu’un Français n’a dans ces matières ni le cœur ni l’enthousiasme, tenant le premier pour chose folle et le second pour chose ridicule. » D’où il suit que les Anglais, et telle est la doctrine de l’auteur, sont les seuls hommes capables de commettre une folie, tandis que, pour les Français, — la règle générale, en fait de passions, se borne à cette formule : « C’est moins une affaire de cœur qu’une affaire. »

On voit d’avance ainsi le côté principal du sujet qui va être traité. La logique a beau murmurer à ces partages de blâmes élogieux, l’esprit se rassure devant la perspective qui lui est ouverte. Il s’agira sans doute d’autres tableaux que ceux qui nous attristent au milieu de notre actuelle et funèbre vie. Entrons donc dans ce monde ressuscité ; oublions, s’il se peut, puisque le cœur va jouer son rôle, la route aride et glacée où nous marchons dans les angoisses ; oublions les fêtes nouvelles, si pleines d’alarmes, lorsqu’elles ne sont pas chargées d’ennui ; oublions les caricatures, les plagiats, les scandales ; oublions tout ce qui est, pour retrouver tout ce qui fut.

Le commencement du livre est bizarre : vous vous trouvez dans une loge de l’Odéon. Il est vrai qu’on représente la Lucrèce de M. Ponsard, que cette tragédie est dans toute la fraîcheur de sa nouveauté, et qu’il est à peu près possible qu’une portion du monde élégant s’y rencontre. Sir Édouard Vernon et sa jeune femme, tout fraîchement débarqués en France, au beau milieu de leur lune de miel, sont placés seuls au-dessus d’une loge de la galerie, toute remplie de lions et, qui pis est, de lionnes. — Nous nous servons des expressions de l’auteur. — La conversation y est assez étrange pour les chastes et sévères oreilles de lady Mildred, jeune Anglaise des comtés du nord, élevée dans les raides principes du cant, inflexible contre les faiblesses, vouée à la vertu comme au plus inexorable devoir, hors duquel la perdition de l’ame est certaine, quelle que doive être plus tard l’immensité du repentir. Remarquablement belle, elle n’avait pas la conscience de sa beauté ; les lacs bleus, les montagnes neigeuses n’avaient jamais