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tour à tour Law, Samuel Bernard, Necker ; il vit encore et devinez son nom !… Vous allez vous tromper : il se nomme Duchâtel ! D’où l’auteur conclut qu’il faut, chez nous, une aristocratie. — J’ai connu un brave homme qui, examinant une propriété dont il venait de faire l’acquisition, disait qu’il y fallait des chênes de cent ans. — Sir Robert Peel apparaît lui-même, dans un très long chapitre, et y cause assez peu clairement avec Gaston de Montévreux. Je crois qu’on doit feuilleter très lestement ces pages en Angleterre.

Mais que penser, lorsque de ces hauteurs nuageuses, on tombe dans les détails du boudoir de Mme de Cévèzes, pour y étudier son costume de débardeur, destiné aux triomphes du bal de la mi-carême ? C’est là que les journaux anglais ont trouvé leurs plus vives pâmoisons, et qu’ils ont vu la nature prise sur le fait. Lisez cela, et suivez la baronne jusque dans le tourbillon du galop infernal ; suivez-la au Café Anglais, soupant avec un homme qui va se faire sauter la cervelle après le dernier écu payé, et cherchez ensuite, dans Paris, où peut exister Mme de Cévèzes. Oh ! belles ladies effrayées, calmez-vous, croyez-moi ; conduisez, sans crainte, vos baronnets à l’hôtel Meurice. Je les défie de rencontrer jamais cette dangereuse baronne. Elle est bien morte, plus sûrement que Fouquet.

Non, nous n’admettrons pas que ce soit là une esquisse de la société française, et que l’Angleterre doive, sans énergique protestation de notre part, placer dans ses albums de voyage ces pochades lourdes et mal venues. Au milieu de sa ruine, peut-être éternelle, ne jetez pas cette dernière pierre à la société la plus élégante, la plus ornée, la plus morale des jours contemporains. C’était assez des injures sans colère dont de rares exceptions avaient été le prétexte ; pourquoi, sous forme de peinture générale, y ajouter cette caricature des mœurs ? Au religieux sentiment qui respire dans quelques pages, on aurait peine à croire à du fiel chez l’auteur, et si c’est ignorance de ce qu’il a voulu peindre, il ne pouvait plus gauchement deviner. Que les Anglais ne nous jugent donc pas sur ce livre ; rappelons-leur que, quand nous voulons les juger, nous écoutons, par exemple, lady Fullerton, qui sait mêler la délicatesse de la femme au tact exquis de l’observateur.

Un point cependant est remarquable dans les appréciations générales, si étrangement semées au milieu d’un récit touchant : c’est celui qui a trait à la prétendue gaieté française. L’auteur conduit ses personnages au milieu d’une fête publique, à l’occasion du 1er mai. « La classe populaire, dit-il, est certainement très oisive en France ; mais elle n’est pas gaie. La perte volontaire de temps est caractéristique, non-seulement de l’ouvrier, mais de tout ce qui vit d’une occupation quelconque, jusque dans les rangs les plus élevés. Les Français n’ont ni légèreté de tête ni légèreté de cœur. Ils ont beaucoup moins changé qu’on ne l’imagine depuis la révolution de 1830, et, quoique le faubourien ait peut-être un peu plus pensé depuis qu’il a rêvé que toutes les carrières lui étaient ouvertes, je ne crois pas qu’il soit, en fait, plus sérieux que sous l’ancien régime. Le peuple français n’a jamais été une race insouciante, comme on se plaît à l’imaginer. Telle était la noblesse… mais l’artisan, le laboureur, ne sont pas plus (ni n’ont jamais été) les francs et jovials garçons dont le renom existe, que la charge anglaise, admise comme type par nos voisins, n’est le portrait du batelier de la Tamise. » Cela est juste et vrai. Ce préjugé de gaieté devait disparaître,