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glaise et tendre à recomposer l’ancienne maîtresse des mers aux dépens de la puissance incomparablement supérieure qui lui a succédé. Il n’y eut, dès-lors, ni assez de mépris ni assez de sarcasmes pour la pauvre Venise. Aujourd’hui pourtant les faits commencent à être mieux compris : l’attitude de Venise n’a justifié aucune des accusations dirigées prématurément contre elle. Le moment est donc venu d’apprécier sainement les principaux actes qui ont déterminé et suivi l’établissement de la nouvelle république vénitienne. L’exposé calme et fidèle de ces actes suffira, je l’espère, à faire juger avec plus de modération et d’équité la conduite de Venise dans les derniers événemens de l’Italie.


I.

Lorsque la république de Saint-Marc disparut devant la volonté victorieuse de la France, le peuple vénitien, surpris, ne se rendit pas bien compte de la transformation qui allait s’accomplir. Le sentiment de la nationalité n’était pas alors fortement développé en Italie ; rien ne rattachait le gouvernement au peuple, et la chute du premier n’émut que faiblement le second. Plus tard, Venise fut peut-être celui de tous les états italiens qui fut le plus facilement entraîné dans le piége que le cabinet autrichien tendit, en 1814, à l’Italie. Lorsque la combinaison d’un état indépendant, qui devait comprendre, sous le protectorat de l’Autriche, toute l’Italie du nord, fut proposée aux libéraux italiens de 1814, Venise et les provinces de la terre ferme crurent entrevoir pour elles-mêmes un avenir paisible et honorable. Jamais, si ce n’est pendant la trêve connue sous le nom de paix de Campo-Formio, cette ville n’avait connu par expérience le poids du joug autrichien, ni l’art exquis avec lequel la politique du cabinet de Vienne sait, au besoin, serrer les nœuds d’une alliance pour en faire une chaîne. Venise crut naïvement que la domination étrangère n’était représentée que par la conquête française, et qu’un gouvernement qui invoquait pour s’établir le concours de la nation soumise à son autorité ne pouvait s’arroger, vis-à-vis de cette nation, les droits d’un vainqueur sur des vaincus. C’est là le secret de la prompte adhésion donnée par Venise et la Vénétie aux traités de 1814 et 1815, ainsi que des démonstrations d’attachement que le peuple vénitien n’épargna pas à la famille impériale et à la nation autrichienne. Venise avait pris au sérieux les promesses de François Ier et de M. de Metternich. La France lui avait enlevé sa liberté, l’Autriche offrait de la lui rendre : Venise accueillit avec transport une protection qui ne semblait pas devoir se changer en tyrannie.

L’ancienne république de Venise n’avait pas accoutumé le peuple à s’ingérer dans les affaires de l’état, ni à se préoccuper des questions de liberté et d’indépendance. Un peuple élevé à pareille école était un