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sa destination, de lui dire ce qu’il est, d’où il vient, où il va ; de lui apprendre s’il y a un Dieu, s’il a une ame immortelle, si la création a un but, et quel est le sens de la vie. Si la philosophie avait apporté jamais à ces problèmes une solution fixe, concluante, rassurante, répandant et imposant la conviction par l’impérieux rayonnement de son évidence, la philosophie aurait détrôné la religion et pourrait prononcer la déchéance du christianisme ; mais, depuis qu’il y a des philosophes qui pensent, qui cherchent, qui nient, qui dogmatisent, en est-il un seul qui ait terrassé le doute et délivré Prométhée du rongeur éternel ? Descartes n’a point suffi à Spinoza, lequel n’a point entraîné Leibnitz, qui n’a pas convaincu Kant, lequel n’a point satisfait Fichte, qui n’a point contenté Schelling, au-delà duquel a marché Hegel, dépassé lui-même par les humanistes et par M. Proudhon. Le dernier mot de ceux-ci est-il acceptable à la conscience du genre humain ? C’est au contraire celui qui la révolte le plus et qu’elle repousse comme sa mort ; car, désespérant de résoudre le problème, ne découvrant, par la puissance d’une logique effrénée, que l’impuissance radicale de la raison, ils pensent faire disparaître la difficulté en la détruisant par une sorte de négation furieuse, comme si elle n’était qu’une création arbitraire de l’esprit humain. La philosophie avait commencé par un acte d’humilité dans la bouche de Socrate, elle finit par une imprécation dans la bouche des philosophes du jour. Comme elle n’a pu parvenir à prouver l’existence d’un Dieu personnel et distinct de l’univers : Dieu, c’est l’humanité, disent les jeunes hégéliens ; Dieu, c’est le mal, dit M. Proudhon ; il faut le chasser de notre conscience. C’est avec une conclusion qui fait frémir l’esprit humain et baffoue le sens commun que ces forcenés viennent nous annoncer la fin de la religion ! Ils ne voient pas que les avortemens de la philosophie, et ils en sont au milieu de nous l’exemple le plus éclatant, apportent en tous les temps à la religion cette confirmation mathématique qu’on appelle la preuve par l’absurde.

Telle est pourtant l’extrémité où la philosophie socialiste et révolutionnaire est forcée d’arriver avant même de jeter les fondemens de sa réalisation économique. Remontez en effet le cours de sa déduction : pour triompher, il ne suffirait point qu’elle persuadât aux hommes que chacun peut trouver ici-bas la part de bonheur que notre nature comporte, et que la société peut et doit donner à tous l’égalité du bien-être ; il faut plus encore : il faut allumer dans les cœurs la soif de saisir sur-le-champ et par tous les moyens les jouissances qui leur sont promises. Pour cela, il faut concentrer sur la vie terrestre tous les appétits, toutes les aspirations et toutes les espérances ; il faut, par conséquent, nous enlever la pensée de Dieu et nous étourdir sur le souci de la vie future. Sans cela, le socialisme n’a point d’aiguillon assez fort et ne peut achever avec sécurité son entreprise. Comme philosophe, M. Proudhon