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C’est là, messieurs, une tâche grande et difficile. Le cabinet doit en sentir toute l’étendue et tout le poids. Il est récemment formé, il n’a pas encore fait de ces actes qui consacrent une administration ; mais la fortune lui jette entre les mains une affaire si considérable que, s’il la gouverne comme il convient à la France, il sera, nous osons le dire, le plus glorieux cabinet qui ait géré les affaires de la nation depuis 1830. »

Le malheur des ministres du 12 mai fut d’accepter ce périlleux marché par l’espoir, s’ils le pouvaient tenir, de renforcer une situation parlementaire assez fragile. Ils se dévouèrent à leur tâche avec l’ardeur de personnes qui n’en avaient peut-être pas mesuré d’avance toutes les difficultés. A vrai dire, ils ne commirent aucune faute ; mais ils vinrent se heurter successivement à toutes les aspérités qu’ils ne pouvaient manquer de rencontrer sur leur chemin. Ils offusquaient tour à tour, sans le vouloir et sans le savoir, ceux-là même qu’ils avaient l’intention de se concilier, de sorte qu’après plusieurs mois de pourparlers, pendant lesquels nous avions cherché à ramener l’Europe à nos vues, le vide s’était insensiblement fait autour de nous. Ces grandes puissances que nous nous étions proposé de réunir contre la Russie étaient plus que jamais prêtes à s’entendre contre nous et avec la Russie. Vainement nous leur parlions de la nécessité de veiller au maintien de l’empire ottoman ; chaque jour, elles se montraient plus portées à penser que ses droits étaient surtout menacés par les usurpations du vice-roi, dont on nous reprochait d’avoir les intérêts si fort à cœur. Vainement nous demandions qu’on songeât à dérober Constantinople au protectorat exclusif de la Russie ; ceux à qui nous nous adressions paraissaient plus pressés encore de soustraire Alexandrie à ce qu’ils ne manquaient point d’appeler la domination exclusive de la France. Sur ces entrefaites, et comme pour témoigner qu’il n’était pas encore irrévocablement engagé avec la cour de Saint-Pétersbourg, le cabinet anglais nous proposait sous main de faire avec lui, sur quelque point de l’Orient, dans l’Archipel, sur les côtes de la Syrie ou à l’entrée des détroits, des manifestations guerroyantes dont l’intention et la portée ne se laissaient pas trop clairement apercevoir. Nos ministres refusaient de courir ainsi les aventures. Ces refus prudens aigrissaient davantage lord Palmerston. Parce que nous ne flattions aucune passion, nous devenions suspects. Notre réserve même nous était imputée à crime. C’était jeu joué pour dérober nos profonds desseins. La mauvaise humeur générale se tourna alors contre notre protégé Méhémet-Ali. Il y avait là un moyen de nous atteindre indirectement. Les puissances étrangères oublièrent volontairement qu’à une autre époque nous avions arrêté le vice-roi dans sa marche victorieuse sur Constantinople. Elles firent semblant de croire que nous lui soufflions