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auquel il ne voulait à aucun prix, et sous quelque forme que ce soit, paraître avoir donné son acquiescement. Nous n’entrerons dans aucun détail, mais nous croyons devoir citer encore quelques pièces qui caractérisent l’attitude vraiment singulière gardée jusqu’au bout par chacune des parties engagées dans cette interminable affaire. C’était toujours à Constantinople que naissaient les nouvelles difficultés suscitées par lord Ponsonby, et à Londres qu’elles étaient opiniâtrement exploitées par lord Palmerston. Dans les différentes cours d’Europe, la conduite de ces deux personnages politiques était sévèrement jugée. M. L. de Sainte-Aulaire, fils de l’ambassadeur, laissé à Vienne comme chargé d’affaires après le départ de son père, écrivait à Paris[1] : « Le langage de M. de Metternich est aussi net que possible, et, en gardant, dans les entretiens qu’il a bien voulu avoir avec moi jusqu’à présent, toute la mesure convenable sur les personnes, il m’a laissé voir cependant qu’il condamnait formellement les fautes commises par action à Constantinople, et par omission à Londres. » Plus tard, le même agent rapportait des paroles plus énergiques encore du chancelier autrichien : « C’est un fou, avait-il dit en parlant de lord Ponsonby, qui serait capable de faire la paix ou de déclarer la guerre malgré les ordres formels de sa cour ; c’est, du reste, le meilleur homme, mais fou. Au surplus, tout ce qu’il pourra faire aujourd’hui n’empêchera pas que l’affaire ne soit bien et dûment finie[2]. » De Saint-Pétersbourg, M. de Barante écrivait à la même époque[3] : « Il me paraît bien établi ici, parmi les personnes instruites de ce qui s’est passé à Constantinople, que, si lord Ponsonby n’a point réussi à imposer toute sa volonté au divan, il l’avait auparavant mis en disposition de rendre vaine et dérisoire la concession de l’hérédité. M. de Nesselrode est allé jusqu’à dire au ministre de Prusse : Je crois, en vérité, que nous aimerions mieux, tout désagréable qu’il est, l’avoir ici que là-bas, où il brouille tout. »

A Londres, lord Palmerston, ayant essayé, peu de temps après l’échange des paraphes, à réveiller les inquiétudes de ses collègues de la conférence sur les projets ambitieux de Méhémet-Ali, fut repoussé par eux avec une vivacité inaccoutumée. M. de Bourqueney s’aperçut de ce petit travail de la conférence sur elle-même ; il en rendit compte en ces termes : « Lord Palmerston, un peu émoustillé du texte de la lettre de Méhémet-Ali à la Porte, a voulu réchauffer le zèle de ses collègues de Prusse et d’Autriche. Il les a trouvés de glace. Tous m’ont signalé cette petite recrudescence de lord Palmerston comme un symptôme de sa disposition personnelle à tenir la question entr’ouverte,

  1. Dépêche de M. de Sainte-Aulaire à M. Guizot, 28 mars 1841, n° 11.
  2. Dépêche de M. de Sainte-Aulaire, 8 avril 1841.
  3. Dépêche de M. de Barante à M. Guizot, 27 mars 1841, n° 7.