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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/9

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hommes de bonne volonté ont consenti à prendre en main nos destinées, de ce jour-là nous avons, comme par miracle, cessé de ressentir les atteintes de ce mal funeste de l’ennui ; mais aussi, pendant quatre mois, que de soins pris pour notre guérison ! quelle prodigieuse activité ! quelles admirables inventions ! et surtout quelle habile mise en scène ! — Proclamations sur proclamations, décrets sur décrets, tous solennels, dramatiques, propres à agiter profondément les masses et à renouveler la face de la terre ; aux momens de joyeuse humeur, des pompes splendides, et, dans des cortéges mythologiques, les demi-dieux du jour se proposant à l’adoration de leurs fidèles ; Paris lui-même transformé ; la cité paisible devenue tout à coup un vaste et bruyant forum, bientôt après un camp immense tout hérissé de baïonnettes ; ces mouvemens un peu vulgaires d’une multitude incessamment occupée de ses affaires ou de ses plaisirs remplacés chaque matin par les impétueux éclats des manifestations soi-disant populaires, chaque soir par le bruit des pas réguliers des patrouilles et par les qui vive des sentinelles ! — Ces premières émotions devenues fades par l’habitude, de plus fortes ne nous ont point fait défaut ; rien ne nous a manqué, ni les appréhensions de la guerre civile, chaque jour plus imminente et plus audacieusement préparée sous nos yeux, ni les anxiétés d’une lutte mortelle engagée quatre jours durant entre citoyens d’une même ville, ni même la triste joie d’un triomphe acheté par trop de ruines et de sang ! Redisons-le, afin d’être juste envers qui de droit : sous l’étrange gouvernement que chacun sait, et qui a duré du 24 février au 25 juin, non vraiment ce n’est pas d’ennui que la France a souffert ; ce n’est point pour échapper à l’ennui que notre pauvre société française, naguère si polie et si fière de sa civilisation, si libre et si jalouse de son indépendance, s’est réfugiée frémissante sous le sabre d’un soldat énergique et implore aujourd’hui comme faveur singulière le maintien des bienfaits de la dictature et des douceurs de l’état de siége. Le mérite principal du chef qui, au moment suprême, a bravement accepté l’honneur de sauver l’état en péril, des généraux qui l’ont brillamment servi de leur épée, ce n’est pas seulement d’avoir les premiers attaqué résolûment et vaincu l’émeute ; nous leur devons quelque chose de plus et de mieux : à défaut d’autres freins, ils ont fait revivre dans la capitale la rigide autorité des règles militaires, et cette forte discipline n’a pas tardé à porter ses fruits naturels. Comme de coutume et par une heureuse liaison, l’ordre matériel a ramené avec lui un peu d’ordre moral. Le calme une fois rétabli dans les carrefours et sur les places publiques, la paix s’est faite peu à peu d’elle-même dans les intelligences. Les ames se sont apaisées et rassises. Remis de son premier étourdissement et regardant derrière lui les voies dans lesquelles il s’était laissé conduire, le public n’a pu se défendre de quelque sur-