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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/903

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en effet corrompre par la séduction du plaisir et de l’argent. Il eût été patriote, s’il eût aperçu dans cette conduite la chance d’une vie tranquille et de la sécurité pour sa fortune colossale ; il eût désiré s’affranchir de la surveillance du protectorat, s’il n’avait craint davantage de tomber sous la surveillance plus scrupuleuse d’un pays vraiment constitutionnel. En somme, la sécurité lui semblait être encore du côté du protectorat, même au milieu des révolutions européennes, et son gouvernement arbitraire, capricieux, corrupteur, s’accommodait mieux de la présence et des conseils d’un consul russe que d’une assemblée libérale dans Jassy. En un mot, il ne voulait point entendre parler du principe national par terreur du principe démocratique.

La Valachie avait pour chef George Bibesco, qui ne possédait ni la prudence de Stourdza, ni les grands moyens d’action accumulés dans le trésor du prince moldave par quinze ans de déprédations. Doué d’un esprit fin, délié, élégant, Bibesco montrait moins de vices que de défauts, et, parmi ces défauts, il n’avait que ceux d’un esprit ardent, mobile et vaniteux. Ce n’était point un despote avare, c’était un héros de roman chevaleresque et prodigue. Il avait été porté au trône par un mouvement national ; mais les incertitudes de sa volonté avaient échoué contre les difficultés du gouvernement. En butte aux attaques passionnées des Fanariotes, comme à celles du parti libéral beaucoup mieux méritées, il flottait indécis, irrésolu entre les caprices du protectorat et les exigences du parti national. Roumain peut-être autant que personne par intention, mais Russe par faiblesse, par crainte, par impuissance, il eût été fier du rôle de prince national et de prince libéral, et il se contentait de le rêver sans oser le saisir.

Que pouvaient les Moldo-Valaques avec de tels princes, l’un sans foi politique, l’autre sans énergie ? Les Moldaves, les premiers, prirent néanmoins la résolution de rédiger un programme, et de le présenter à l’acceptation de Stourdza. L’élite de la jeunesse du pays, les enfans des plus grandes familles de boyards, quelques vieux boyards même, graves et derniers représentans de l’époque fanariote, la petite propriété et le petit commerce, entrèrent dans la conspiration, qui se tramait au grand jour. Ce que l’on songeait à proposer au prince, c’était une réforme de la législation politique et civile. Outre l’avantage de la liberté pour elle-même, on voyait dans le progrès de la constitution moldave le meilleur moyen de surexciter l’esprit national, de dégager les élémens et les forces de la nationalité, de réunir les passions de toutes les classes dans un commun sentiment d’hostilité, dans une haine irréconciliable au protectorat, patron officiel de la corruption systématique du gouvernement moldave. Une démonstration imposante fut donc faite en ce sens le 28 mars, et le prince, effrayé tout aussi bien que le consul russe, et ne pouvant, sur le premier moment,