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opposer de résistance, accueillit le programme libéral, et sembla en reconnaître la légitimité ; nais, dans la nuit suivante, pendant que les chefs du mouvement s’abandonnaient trop promptement à la confiance, le vieux diplomate, ayant enrôlé par prévoyance tout ce qui se rencontrait dans Jassy de gens sans aveu, d’aventuriers de toute nation, et principalement d’Albanais, avant pris soin de faire ajouter de copieuses libations à leur juste salaire, enfin plus sûr d’eux que de la milice nationale, fit cerner et envahir les maisons des principaux patriotes. Plusieurs, surpris dans le sommeil, passèrent du lit à la prison ou dans l’exil. Quelques-uns purent échapper, et demandèrent un refuge aux Roumains de la Transylvanie, où ils furent fraternellement accueillis.

Pendant que Stourdza mettait leurs têtes à prix, ils organisaient une descente armée sur Jassy, avec la résolution formelle de renverser cette fois le prince, de proclamer une constitution démocratique, et de proposer au sultan le choix d’un hospodar capable de donner des garanties à la nationalité, ou même, si les circonstances le permettaient, l’union de la Moldavie avec la Valachie sous un seul chef. Sur ce terrain hospitalier, au milieu de ces Roumains de la Transylvanie, les frères aînés de la race, occupés de leur côté à disputer aux Magyars une existence nationale, les Moldaves trouvèrent un concours empressé et assez d’auxiliaires pour réaliser leur plan d’attaque ; mais Stourdza n’eut garde de se laisser prévenir : ne pouvant plus compter suffisamment sur les troupes moldaves, il fit appel au protectorat, et les Russes, depuis quelque temps attentifs sur la frontière, saisirent avec à-propos l’occasion d’intervenir sur la demande même du prince, appuyée par la signature de quelques boyards, ses séides. En présence de ce grave événement, la tentative préparée en Transylvanie n’était plus ni sensée ni possible ; elle fut abandonnée, et la jeune révolution moldave dut faire place à l’invasion russe, aux baïonnettes du protectorat.

Le protectorat, toutefois, n’affectait nullement de braver l’Europe. Peut-être, dans cette première phase de l’intervention, ne se sentait-il sûr ni de son droit, ni de sa force, ni de la complaisance de l’Europe nouvelle, dont il n’avait point encore mis la susceptibilité à l’épreuve. Quelques régimens passèrent le Pruth et s’avancèrent jusqu’aux environs de Jassy avec réserve et lenteur, en un mot avec tant d’hésitation, que l’on put un instant douter si l’intervention était sérieuse, si elle avait eu lieu par les ordres de l’empereur, ou si elle ne devait pas être attribuée au zèle du général Duhamel, chargé de la conduire. Trop peu justifiée par les événemens de Moldavie, elle attendait de plus puissantes raisons pour se répandre sur ce territoire, si souvent violé par elle depuis un demi-siècle, et pour railler de là victorieusement la patiente Europe.