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À peine Talaat-Effendi avait-il passé en Moldavie, où il allait être exposé à la double séduction de Stourdza et de Duhamel, que le prince de Valachie s’aventurait dans un dangereux et impitoyable système de répression, espérant le succès de, Stourdza et comptant bien aussi sur l’appui de Duhamel. Des tentatives d’insurrection éclatèrent dans plusieurs districts des bords du Danube et de la Petite-Valachie, où la population, éclairée, énergique, se souvient d’avoir accompli l’insurrection nationale de 1821. Après de vaines avances et d’inutiles tentatives de conciliation, le parti national, décimé chaque jour par l’emprisonnement et l’exil, résolut d’agir. Le 23 juin, un jeune homme, un enfant, le neveu du patriote Maghiero, se présente sur le marché, et, lisant à haute voix une déclaration des droits rédigée par le poète Éliade, il affirme que le prince vient d’y adhérer, et dix mille hommes sans armes le suivent de confiance pour porter au palais les remerciemens de la nation. Cette supercherie réussit ; la milice refuse de tirer sur une foule amie et désarmée. Le prince, contraint de plier devant cette force morale, signe la déclaration des droits ; mais le lendemain il abdique, et un gouvernement provisoire prend sa place.

Pas une goutte de sang n’avait été versée. L’immense majorité des populations et les paysans eux-mêmes saluèrent avec bonheur cette révolution, facilement accomplie. La déclaration des droits en contenait tout l’esprit, et, écrite sur un ton à dessein poétique, elle pénétra dans les campagnes comme dans les villes. Elle résumait les principes français, appropriés facilement à la situation spéciale d’un pays où l’aristocratie féodale n’a jamais pu prendre racine. La magistrature suprême, en restant élective, cessait toutefois d’être viagère le chef de l’état, domnul, le seigneur, et non plus l’hospodar, mot slave, ne devait plus être élu que pour cinq ans. C’était proprement la république, mais la république sous la suzeraineté respectée du sultan. La déclaration des droits était remplie des expressions de ce respect, en même temps qu’elle essayait de rallier les populations dans une pensée hostile au protectorat. Cependant, au moment même où la Valachie semblait oublier sa dépendance dans cet élan d’espoir, les Russes campaient sous les murs de Jassy, et le triste pressentiment d’un grand péril prochain se laissait voir au milieu même de ces espérances. « Ne craignez aucune puissance illégitime du dehors, disait la déclaration, car les temps de l’oppression et de la violence sont passés. La croix qui surmonte nos couleurs nationales rappellera à la Russie qu’elle est chrétienne. Nous placerons la croix sur nos frontières, et le Russe ne passera pas sur notre sol avant d’avoir foulé aux pieds ce signe du christianisme. S’il n’est pas saisi de crainte, nous enverrons à sa rencontre non des armes qui nous manquent, mais nos prêtres, nos vieillards, nos mères, nos enfans, qui, accompagnés de l’ange de Dieu,