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prêter complaisamment à cette politique. On assure que, depuis lors, personnellement blessé dans son vif amour-propre par la hauteur du général russe, réprimandé par son gouvernement, le commissaire turc a repris de l’indépendance dans sa conduite, et que, tout en annulant les actes du gouvernement provisoire et de la lieutenance, il reconnaît la nécessité de réformes profondes à introduire dans la constitution du pays. Si donc la révolution valaque est vaincue, l’esprit qui l’a dictée ne l’est pas entièrement ; il ne l’est pas autant que l’eût désiré la Russie, il ne l’est pas si bien qu’il n’ait l’espoir d’obtenir quelques concessions jusque dans cette défaite.

Que si d’ailleurs les Turcs essayaient de l’étouffer dans Bucharest, à moins que la race moldo-valaque ne fût étouffée du même coup, il renaîtrait bientôt sur chaque point du sol roumain. Ce sol a été remué dans tous les sens. L’idée de nationalité appuyée sur l’idée de démocratie a puissamment frappé l’imagination des paysans. Le paysan, plus ou moins assujéti à la terre du boyard, n’était pas libre, il n’était pas propriétaire ; il a reçu de la révolution de juin la liberté et la propriété. Ce sont là des bienfaits qu’il n’attendait peut-être pas si tôt, bien qu’il sentît douloureusement le poids de sa servitude ; mais que le gouvernement nouveau les consacre ou les retire, le souvenir en demeure vivant, et il établit entre le paysan et cette révolution éphémère un lien direct d’intérêt et de dévouement. Quant au sentiment national que les patriotes avaient pour but principal de fortifier par cette fusion de toutes les classes dans la démocratie, l’intervention étrangère, les souffrances, la disette, l’épuisement, qui en sont dès aujourd’hui le résultat, ne sont point sans doute destinés à l’affaiblir. En supposant que les Turcs ne perdent point la popularité dont on se plaisait à les entourer depuis quelques années, les Russes du moins deviendront progressivement plus odieux qu’ils ne l’ont jamais été. J’ai entendu de près les malédictions dont leur nom était poursuivi en un moment où ils se contentaient de peser par leurs consuls sur le gouvernement des principautés. J’ai vu des femmes verser des larmes de douleur à la pensée que leurs fils seraient peut-être un, jour des sujets du czar, et que le sort de la Pologne pourrait s’étendre de la Baltique au Danube. Est-ce que l’intervention présente, sur les débris d’une démocratie inoffensive, serait de nature à tempérer cette douleur et à conjurer ces malédictions ? Il est naturel au contraire que le sentiment national s’épure et prenne plus de virilité dans ces souffrances.

Enfin, à ces raisons d’espérer que les populations moldo-valaques peuvent tirer de leur propre cœur, ne faut-il pas joindre toute cette agitation extérieure, tout ce mouvement des races qui renouvelle à côté d’eux, autour d’eux, l’Autriche et la Turquie elle-même ? Les vicissitudes des principautés moldo-valaques ont ému non point seulement