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de la barbarie, et irrite en elle tous les maux de l’ame et du corps. Nous croyons, et ce serait, suivant nous, une stupide et criminelle lâcheté de ne point se l’avouer, nous croyons que la souffrance morale et physique demeurera sur la terre tant qu’il y aura des hommes, quand on réunirait sur chacun d’eux l’opulence voluptueuse de Sardanapale, la beauté d’Alcibiade, la sagesse de Socrate et l’héroïque génie d’Alexandre. Nous croyons montrer une sympathie plus sincère et plus efficace pour les douleurs qui nous entourent, d’un côté, en leur assignant une signification religieuse, de l’autre, en leur apportant tous les soulagemens graduels que le présent nous fournit et que le progrès quotidien nous procure, au lieu de les exaspérer jusqu’au désespoir ou d’essayer de les endormir dans l’abrutissement des plus nobles facultés humaines. Cette démonstration s’achèvera par l’examen de l’économie politique des socialistes.

Après avoir affirmé que nous devons être heureux sur la terre, le socialisme était tenu de prouver que nous pouvons l’être et de dire comment nous pouvons le devenir. Il a donc demandé à des combinaisons économiques ses recettes de bonheur. Dans cet ordre d’appréciations, toutes les utopies socialistes s’accordent sur deux choses : premièrement, la condamnation de la constitution économique de la société actuelle ; secondement, la prétendue nécessité d’asservir la liberté individuelle à une organisation réglementaire du travail. Le socialisme critique d’abord et dogmatise ensuite. Avant de juger ses systèmes et ses voies et moyens de réalisation, arrêtons-nous un instant à ses critiques.

Le procès que le socialisme révolutionnaire intente à la société porte également sur deux points : un point de fait et un point de droit. En fait, le socialisme prétend que la constitution économique de la société actuelle aggrave chaque jour la situation des classes souffrantes, empire le sort des travailleurs, élargit et envenime la plaie du paupérisme. En droit, le socialisme accuse l’économie politique de prêter aux maux de la société une fausse sanction scientifique, de donner carte blanche à toutes les injustices, à toutes les cruautés de la fortune, de légitimer tous les crimes industriels et commerciaux par le laissez-faire et le laissez-passer. Or, il est facile de montrer que cette double critique du socialisme repose sur deux préjugés ou deux mensonges un préjugé de mauvaise foi et un préjugé d’ignorance. D’une part, le socialisme, dans un intérêt révolutionnaire, calomnie la société qu’il veut détruire ; de l’autre, il dénature le caractère d’une science qu’il ne comprend pas ou qu’il ne connaît point.

S’il y a dans l’état présent de notre civilisation un progrès qui fasse honneur aux sociétés modernes, c’est la sollicitude assidue, infatigable avec laquelle la science et la politique étudient depuis bientôt un siècle la condition des classes les plus nombreuses et les plus malheureuses. Tout l’effort de la politique, tout le travail de l’économie politique,