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ont abouti, de nos jours, à une seule fin : explorer les souffrances matérielles du peuple, en découvrir les causes, en rechercher le remède. Dans les idées qui prévalent en Europe depuis 1789, qu’est-ce, à proprement parler, que le gouvernement, sinon une enquête permanente ouverte sur tous les faits sociaux, et par conséquent sur ceux qui intéressent le plus grand nombre ? Avant cette ère où la lumière a été chaque jour répandue sur les intérêts publics, la politique s’enfermait dans un palais ténébreux gardé par des muets. Aujourd’hui, la publicité et la parole recueillent tout, éclairent tout ; il n’y a plus un mal social qui reste ignoré, plus une plainte qui soit étouffée, plus un cri de détresse qui ne retentisse à l’oreille et au cœur de tous. Sans doute, — et nos révolutions si fréquentes n’en sont qu’un trop malheureux indice, — sans doute, si le mal est porté à la connaissance de tous, tous ne sont pas encore d’accord sur l’efficacité des remèdes ; si la conscience publique est avertie et instruite des faits, la raison générale, qui doit choisir entre les systèmes de soulagement proposés, n’est point formée encore ; mais le progrès que nous constatons n’en est pas moins précieux. Il est la condition première et indispensable de tous les progrès ultérieurs qu’attendent les générations sur lesquelles s’appesantit le servage de la misère ; et si les emportemens révolutionnaires ne viennent pas troubler et dérouter à chaque instant les études qui hâtent la maturité de l’esprit public, ces enquêtes incessantes sont le gage infaillible d’incessantes améliorations.

Eh bien ! qu’ont fait les socialistes des résultats de cette vigilance nouvelle de la société, de cette curiosité bienfaisante qui a fouillé toutes les misères et sondé toutes les plaies du paupérisme ? Ils ne s’en sont servis que pour noircir et diffamer la société elle-même. Munis des statistiques amassées par une philanthropie scrupuleuse, ils en ont tiré un faux témoignage pour faire croire aux travailleurs que leur condition se détériore au lieu de s’élever, pour pousser à bout l’impatience et le désespoir du peuple ; ils ont, en un mot, retourné le progrès contre lui-même. Le socialisme a donc fondé la critique de la société sur ce préjugé propagé aveuglément par tous ses adeptes, à savoir que notre constitution économique aggrave les douleurs des classes laborieuses et les refoule toujours plus bas dans la spirale infernale de la misère. Tel est le thème de toutes les prédications socialistes. Attribuant la responsabilité du mal aux études qui l’ont signalé, et qui, par cela même, en commençaient la lente guérison, elles représentent les souffrances des travailleurs comme des faits nouveaux parmi nous, qui n’existaient point autrefois, qui vont d’ailleurs en s’agrandissant chaque jour, en sorte qu’il semblerait que la durée du régime économique actuel implique l’appauvrissement graduel et finalement la destruction totale des travailleurs. Quoique ce mensonge soit étalé à chaque page, dans toutes les publications socialistes, j’en veux emprunter l’expression