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une compensation aux malheureux que vous dépossédez, vous envenimez la plaie dont la société souffre : vous augmentez le paupérisme.

Dans tous les pays de l’Europe où le débat s’est engagé, il a pris, sous cette préoccupation, un caractère solennel. En Angleterre, l’aristocratie, qui a provoqué le partage des communaux, a eu la perfidie de le soumettre à tant de formalités et de frais, que les petits et moyens cultivateurs ont dû renoncer à en profiter. La transformation des terres vagues en propriétés closes a constitué, je l’ai déjà dit, une formidable puissance ; mais la concurrence des grandes fermes a ruiné et fait disparaître la petite propriété. Cette manœuvre eût été matériellement impossible à une époque moins florissante : elle eût soulevé une résistance désespérée, si l’extension prodigieuse des manufactures n’avait pas ouvert des refuges aux victimes de la spoliation.

Les campagnes prussiennes étaient désertes, lorsqu’à la suite des guerres, Frédéric II offrit les plus grandes facilités au partage des communaux. On put sans inconvéniens diviser 5,100,000 hectares entre 535,068 familles, puisqu’aujourd’hui même les biens des paysans ont une étendue ordinaire qui les classerait chez nous bien près de la grande propriété.

Après les défrichemens ordonnés au dernier siècle par Marie-Thérèse, il restait encore en Belgique des terrains incultes. La vente aux enchères ou le partage de ces terrains a été ordonné l’année dernière (loi du 25 mars 1847), après un débat long-temps poursuivi au milieu d’une animation des plus vives[1]. Tous les orateurs voulaient le soulagement des pauvres ; mais les uns signalaient une cause de misère où les autres croyaient voir une ressource. Les résultats ne sont pas encore appréciables, et d’ailleurs l’opération, limitée aux bruyères de la Campine et du Luxembourg, n’intéresse qu’une faible partie de la population.

Une réforme dans le régime des communaux était demandée depuis long-temps en France, quand les idées révolutionnaires firent leur première explosion à la fin du dernier siècle. La convention avait pour politique de créer des intérêts nouveaux, d’implanter profondément la démocratie, en la faisant participer à la propriété du sol. Sous l’empire de cette idée, elle décréta, le 1er juin 1793, le partage des terres indivises par portions égales et par tête. Le partage devait être effectué de droit lorsque le tiers des habitans de la commune en avait fait la demande. Quoique l’aliénation des lots fût interdite pendant dix ans, on trouva moyen d’en trafiquer avant même que la répartition fût accomplie.

  1. On vient de publier à Bruxelles (1848) le recueil des documens et discussions sous ce titre : Loi sur le Défrichement des terrains incultes, un grand volume de plus de cinq cents pages à deux colonnes. Cette publication témoigne de l’intérêt que le pays a pris à ce débat.