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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/1020

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On se rappelle comment Fuad-Effendi, maître de Bucharest après une collision née d’un hasard malheureux, fut tout étonné de voir au 10 octobre le général Duhamel lui signifier qu’il n’avait plus rien à faire dans les principautés et que l’ordre de l’empereur était de les occuper avec des troupes russes. C’est que l’empereur Nicolas s’inquiétait de la prompte obéissance avec laquelle les Valaques s’étaient soumis à la Porte ; c’est qu’il voulait rompre le lien de cette affection qui, depuis des années, tendait à s’établir entre la Porte et ses protégés danubiens. Les principautés avaient à la longue découvert que tout le mal qu’elles souffraient des Turcs leur venait des Russes, et elles avaient report sur les Russes toute la haine qu’elles vouaient jadis aux Turcs, en se tournant désormais vers Constantinople comme vers le seul espoir de leur émancipation. Le triste incident de Bucharest n’avait point altéré ces dispositions vraiment politiques, et le czar en comprenait les dangers pour ses perpétuels desseins d’agrandissement. Le général Luders prit donc possession de la Valachie comme de la Moldavie, et les Russes y sont encore. C’est de là qu’ils ont envoyé dix mille hommes en Transylvanie. Quand Alexandre demandait aux conférences d’Erfurt qu’on lui cédât formellement la Valachie et la Moldavie, il ne demandait rien que son successeur n’obtienne en fait par cette occupation permanente qu’il s’attribue à titre de protecteur. Il est impossible que les traités particuliers de la Russie avec les principautés danubiennes permettent ainsi au czar de porter à volonté sa frontière jusqu’à Bucharest ; ces traités regardent alors l’Europe entière, qui doit s’en mêler, et si l’Autriche, affaiblie par ses obligations particulières, n’est plus à même de protester nous sommes heureux de savoir que l’Angleterre et la France soutiennent à Constantinople les droits lésés de la Turquie. La Turquie a vainement réclamé l’évacuation des principautés : on a répondu en augmentant le corps d’occupation, on a même aboli les quarantaines entre la Moldavie et la Russie, tout en fortifiant celles qui séparent la Valachie du territoire turc ; enfin on a violé la neutralité de ce territoire pour faire passer les troupes du général Engelhardt en Transylvanie. La Porte, que M. de Titow essaie en même temps d’entraîner dans une alliance plus étroite avec la Russie, repousse ces offres suspectes ; elle arme de son mieux et se rapproche ostensiblement de l’Angleterre et de la France. Puisse cette double alliance ne pas lui faire défaut au besoin !

Pendant que la Russie veille ainsi, l’arme au bras, sur le seuil de l’Occident, l’Allemagne, qui se vante de ne plus dormir, se dispute toujours, sous prétexte de constitutions, et s’occupe gravement d’alambiquer sa politique, comme elle alambiquait sa philosophie. C’est un jeu qui n’est pas de ressource quand on a derrière soi des baïonnettes si proches et si connues. Aussi ne sommes-nous pas étonnés que le cabinet autrichien ait imité l’exemple de la Prusse, en donnant lui-même la charte que la diète de Kremsier, perdue dans d’interminables débats, ne pouvait plus enfanter. Disons seulement aujourd’hui que cette charte est, en somme, très libérale, qu’elle consacre toutes les libertés modernes, qu’elle pourvoit avec une sollicitude éclairée aux difficultés inévitables qui naissent dans l’empire d’Autriche et de la diversité des races et du peu d’homogénéité des provinces ; disons surtout qu’elle proclame l’égalité complète des provinces et des races, qu’elle affranchit les pays jusqu’alors soumis à d’autres, pour en faire des membres immédiats de l’empire, absolument comme la révolution