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de gouvernement sérieux qui puisse les soutenir en 1849 ; les professeurs de Kiel sont seul capables d’y croire, et les hommes d’état de Francfort perdront, en les répétant, ce qui leur reste de considération.

Les événemens militaires de la Hongrie et de la Transylvanie ont une importance bien plus haute. Les Magyars résistent toujours dans les marais de Debreczin, malgré les récentes victoires du prince Windischgraetz, qui est à la veille de bombarder Comorn. Il y a eu comme un retour soudain d’énergie et de bravoure chez ces populations, qui avaient paru, jusqu’à la prise de Pesth, déserter tous les souvenirs de leur gloire militaire. Soit pudeur, soit désespoir, ils se battent maintenant tout de bon ; il y va de la mort ou de la vie. Les troupes impériales forment un cercle infranchissable autour des révoltés : des individus isolés peuvent peut-être encore s’échapper sous des déguisemens, les corps sont perdus. Vers le pays des frontières, vers la Transylvanie, vers la Galicie, vers la Bukovine, vers l’Allemagne, toutes les issues sont fermées ; il est impossible que l’insurrection ne soit pas comprimée tout-à-fait avant peu de temps. Ce sera trop tard encore pour l’Autriche, à qui elle aura prodigieusement coûté. Les Autrichiens tirent là sur leurs propres troupes. Les régimens hongrois, l’orgueil de son armée, sont en grande partie détruits, à l’exception de ceux qui combattent avec Radetzky ; les officiers et sous-officiers se sont partagés entre les deux camps. Cette ancienne fraternité n’empêche pas les horreurs de la guerre. À côté des troupes régulières enlevées au drapeau impérial, il y a dans le camp de Kossuth des paysans volontaires qui font un métier d’exterminateurs, et qui manteaux rouges de Jellachich. Gardeurs de chevaux, de bestiaux et de pourceaux, habitués à toutes les intempéries des saisons, cavaliers infatigables, ces paysans, commandés par des officiers nobles dont ils aiment l’autorité, constituent peut-être la force la plus active de l’insurrection. Pourtant ce sont encore les Szeklers de la Transylvanie qui dépassent tout, et l’Europe doit une belle reconnaissance à la férocité de ces sauvages auxiliaires des Magyars ; ce sont eux qui lui ont amené les Russes en jetant la terreur parmi les Allemands des villes saxonnes. Les uhlans russes ont été accueillis comme des sauveurs. Dans une proclamation adressée aux bourgeois de Cronstadt, qui craignaient déjà de le voir partir, le général Engelhardt leur affirme, pour les rassurer, que le général autrichien est un bon camarade, et il leur promet de rester chez eux pour protéger leur ville, « comme c’est la très haute volonté de son empereur et maître. » Il a sans doute été bien pressant le péril qui a décidé les autorités impériales à céder au cri de douleur des Saxons en acceptant le secours de la Russie, car c’est là une protection plus dangereuse pour l’Autriche qu’une inimitié déclarée. La Russie apparaissant comme puissance protectrice au milieu des populations slaves de l’Autriche chez lesquelles son influence s’est déjà si fort étendue, la Russie délivrant des troupes et des villes autrichiennes, laisse après elle une impression de sa force qui équivaut à une conquête.

La Turquie a senti tout de suite ce nouveau progrès de la puissance moscovite. L’entrée des Russes dans la Transylvanie aurait ravivé, s’ils n’eussent pas toujours été présens, les justes griefs qu’elle a contre eux à cause de leur séjour obstiné dans la Valachie. Les Turcs regrettent de plus en plus d’avoir servi d’instrumens à la politique russe, en étouffant la révolution valaque du 23 juin.