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une chaise, et les Arabes me portèrent à tour de rôle. Mon triste état paraissait les toucher assez.

Pendant ce retour de Nubie au Caire, ma patience fut cruellement mise à l’épreuve. Par un hasard bien contraire, le vent du nord soufflait avec tant de violence, que le courant n’était pas assez fort pour lutter contre lui, bien que notre barque fût dépouillée de toutes ses voiles. Il était dur de ne pouvoir suivre la pente du fleuve. Huit jours s’écoulèrent ainsi, pendant lesquels nous fîmes à peine quelques lieues. Je me souviens de ces longues journées que je passais si tristement à voir la barque mise en travers et, laissée à elle-même, dériver d’un bord à l’autre, et à regarder pendant douze heures le même palmier, et cela au moment où je n’avais plus qu’un désir, celui du retour ; quand il ne me restait plus qu’à descendre le Nil, il me fallait remonter le vent. Cet obstacle inattendu semblait un ensorcellement. À tout événement j’ajoutai aux vers qu’on a lus plus haut une variante pour le cas ou je ne reviendrais pas :

Oui, mes amis, le retour serait doux,
Oui, je voudrais aimer et vivre encore,
Mais c’en est fait, ce ciel que j’aimais me dévore.
Plaignez-moi, mes amis, car je meurs loin de vous.

Ma variante faite, et m’étant mis en règle dans toutes les hypothèses, je tâchai de prendre patience en lisant un dictionnaire arabe. Ma seule inquiétude était de manquer le bateau à vapeur du Caire à Alexandrie, qui ne part qu’une fois par mois, et, soupçonnant peut-être à tort Soliman d’être d’intelligence avec les matelots pour prolonger la navigation, je lui dis avec fermeté que j’entendais être tel jour au Caire. Je fus, en effet, au Caire le jour que j’avais indiqué, tout juste la veille du départ du bateau à vapeur pour Alexandrie. Au Caire, je reçus les conseils de deux médecins éminens. Malheureusement pour moi, ces conseils étaient absolument contradictoires. Prenez du calomel, disait l’un ; surtout ne prenez pas de calomel, disait l’autre. Il était difficile d’obéir à ces deux hommes si distingués, dont chacun était fait pour m’inspirer une égale confiance. Une fois au Caire, je me croyais presque arrivé, je n’étais plus qu’à six cents lieues de Paris, et j’entrais dans la série des communications régulières. Les deux journées que je passai sur le bateau à vapeur qui me portait à Alexandrie me semblèrent délicieuses. Je venais de retrouver la civilisation et presque la patrie. Je goûtai dans la cabine du bateau tout le charme d’un salon de Paris, au milieu d’une aimable famille française qui revenait de Bourbon. Moi, j’avais vécu quatre mois sur le Nil et parmi les ruines. Malade depuis plusieurs semaines, on peut juger du plaisir que je prenais à la conversation de mes compatriotes ; mais, à Alexandrie, je me trouvai plus