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par une pression trop grande du pauvre, leur ferait perdre beaucoup plus.

La France n’est malheureusement pas du nombre de ces pays opulens où le capital s’avilit par son accumulation dans certaines mains. La France est, au contraire, un pays pauvre, eu égard à sa nombreuse population et à la grande place qu’elle occupe dans le monde. Le capital y est très disséminé, craintif, parce qu’il est peu clairvoyant. Nous dirons donc en toute sincérité qu’une contribution infligée spécialement aux riches eût été stérile matériellement et désastreuse par ses conséquences politiques. Nous concevons que le système primitif ait été modifié ; mais nous devons dire que le comité financier de l’assemblée nationale s’est jeté dans une exagération opposée.

L’immunité admise en faveur de la propriété foncière et de l’industrie agricole peut s’expliquer par des considérations politiques ; mais rien ne la justifie économiquement. Dès que vous poursuivez le revenu net sans avoir égard aux besoins qu’il est appelé à satisfaire, saisissez donc ce revenu sans pitié partout où il se trouve. C’est ce qu’a fait l’aristocratique Angleterre[1]. La propriété foncière, direz-vous, est écrasée de charges. Qu’importe, puisque vous tenez compte des impôts et des dettes dans le bilan des contribuables, et que vous ne considérez comme produit net que le libre excédant ? Pourquoi le propriétaire, qui, ses impôts payés, reste avec 8,000 fr. de revenu, ne contribuerait-il pas comme le simple locataire qui a pour tout revenu 800 fr ? Rien de plus injuste encore que l’exemption réclamée pour le fermier. Est-ce que l’impôt que paie un bâtiment loué pour une manufacture dispense le manufacturier de sa patente ? Est-ce que ce même patenté ne rembourse pas, dans le loyer de sa boutique, ce que son propriétaire a avancé pour l’impôt, sauf à se rattraper, s’il le peut, sur le chaland ? D’ailleurs, où finit la spéculation agricole, où commence la spéculation industrielle et commerciale ? Un fermier va conduire au marché un troupeau de bêtes ; il vendra, sans payer d’impôts, chair, cuir et laine ; viendront ensuite le boucher qui revendra la viande, le tanneur qui préparera les peaux, le négociant qui achètera la laine pour la faire nettoyer, filer et teindre, et ceux-ci, qui ont déjà payé patente, auront Une seconde fois à compter avec le fisc.

Avec tant d’indulgence pour l’industrie des campagnes, on a été impitoyable pour l’habitant des villes. Le minimum de perception a été abaissé au point d’entamer le strict nécessaire, de rogner le pain du

  1. Il n’est pas exact de dire que la propriété foncière ne soit pas directement imposée en Angleterre. Outre l’impôt sur le revenu et le land-tax, elle supporte les dîmes, la taxe des pauvres et autres taxes locales, non inscrites au budget de l’état. L’ensemble compose une charge aussi lourde peut-être que celle sous laquelle fléchissent nos propriétaires.