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pauvre. Si du moins on avait gradué la cotisation comme en Bavière ! Loin de là ; on impose à 3 pour 100 le malheureux qui a 100 francs de revenu, comme celui qui a 100,000 francs. Une famille ayant à dépenser par jour 1 fr. 10 cent. dans un village, 1 fr. 65 cent, dans une petite ville, 2 fr. 20 cent. à Paris, à Bordeaux où a Marseille, est réduite au plus strict nécessaire ; lui demander, selon les lieux, de 12 à 24 fr., c’est lui arracher dix journées de sa subsistance. Ou cette famille enverra quelques-uns des siens aux hôpitaux, et alors vous aurez peu gagné à votre spéculation fiscale, où elle s’obérera par des emprunts. Supposons donc que la gêne produite par la levée d’une soixantaine de millions grossisse le troupeau des emprunteurs, et que cette demande de capitaux élève le taux de l’escompte de demi pour 100 seulement, il se manifestera aussitôt un singulier phénomène. L’homme qui retire 20,000 francs d’une sommé placée à 5 pour 100 va payer 600 francs au fisc ; mais, en vertu de cette augmentation de demi pour 100, il retirera du placement de son argent 22,000 francs au lieu de 20,000, de sorte que l’impôt lui aura fait gagner 1,400 francs net. Les petites existences seront douloureusement comprimées. Il y a plus : la propriété foncière elle-même subissant, par contre-coup, le renchérissent des capitaux, paiera à son insu l’impôt qu’elle approuvait parce qu’elle croyait s’y soustraire.

Est-il nécessaire d’insister sur les difficultés pratiques de perception, sur cette inquisition qu’il faut instituer pour découvrir ce que chacun tire de son patrimoine où de son travail ? Ce n’est pas un médiocre embarras, pour l’homme engagé dans un courant d’affaires, que de dégager nettement la somme de ses profits. Etablira-t-on contradictoirement avec lui le décompte de ses opérations ? Quelle cause de mécontentement ! S’en tiendra-t-on à sa simple déclaration sans contrôle ? Quelle place on laissera à la fraude ! La déduction des dettes servies par le contribuable est admise. Pour le négociant, le comptable, le médecin, l’artiste, pour quiconque est obligé par état de faire bonne figure dans le monde, c’est l’alternative de ruiner son crédit en dévoilant des embarras, ou de contribuer comme s’il était riche. En réfléchissant à toutes ces difficultés, on ne s’étonne pas des imprécations qui ont accueilli l’impôt sur les revenus, depuis le jour où Aristophane livra à la risée des Athéniens « le maudit collecteur du vingtième » jusqu’en 1816, où lord Brougham obtint du parlement la destruction de tous les documens de nature à faciliter le rétablissement de l’income-tax.

Dans notre conviction, le vote de la taxe sur les revenus, conformément au projet amendé par la commission, serait le plus dangereux présent que l’assemblée nationale pût faire au gouvernement républicain.


ANDRÉ COCHUT.