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« C’est le poète des poètes ! » disait Lamb en parlant de Spenser, et en effet tous les poètes anglais sont allés puiser dans cette féerie comme à une source première, et aujourd’hui encore la nouvelle école poétique, qui a emprunté à Spenser sa stance, lui a pris quelques-unes des plus vives couleurs dont elle a rajeuni la muse anglaise. Coleridge remarque avec charme l’indépendance absolue de toute réalité qui distingue la Faerie Queene : « Vous n’êtes dans le domaine ni de l’histoire ni de la géographie ; vous n’apercevez aucune limite matérielle ; vous êtes vraiment dans la région des fées, c’est-à-dire de l’espace idéal. Le poète nous a donné un rêve enchanté, et vous n’avez ni le désir ni la pensée de demander où vous êtes et comment vous y êtes vénu. » Cet entier oubli de la réalité est le charme souverain que des hommes d’état submergés par les affaires, comme lord, Somers et lord Chatham, trouvaient à la lecture de la Faerie Queene. Avec son imagination pétrie de verdure, de soleil et d’azur, Spenser est naturellement aussi le poète des peintres. « J’ai lu, racontait un jour Pope, le versificateur classique, le poète de salon, j’ai lu un chant de Spenser à une vieille dame de soixante-dix où quatre-vingts ans : elle me dit que je lui avais montré un galerie de tableaux. Je ne sais comment cela se fait, mais elle disait vrai. »

Leigh Hunt a pris Pope au mot : il a détaché de la Faerie Queene une série de nobles peintures au bas desquelles, suivant la couleur et le style, il inscrit le nom d’un grand maître. C’est malheureusement une trahison, comme dit le proverbe, de traduire un poète ; aussi n’oserai-je reproduire qu’un où deux de ces frais tableaux, comme on donnerait une méchante aquatinte d’après une toile vénitienne ou florentine. Par exemple, ne voyez-vous pas dans ce fragment le motif d’un délicieux Corrége, une Suzanne au bain qui n’a point encore aperçu les vieillards lascifs : « Ses beaux cheveux étaient réunis et tordus par un nœud ; elle les délia. Ils se répandirent à longs flots et à ondes épaisses et enveloppèrent d’un manteau d’or son corps d’ivoire. Une partie de ce corps charmant fut alors dérobée par un voile, mais par un voile aussi charmant. Noyée dans ses cheveux et dans l’onde, qui la défendaient des larcins du regard, elle ne laissait voir que son aimable figure. En même temps riante et rougissante en même temps, sa pudeur augmentait la grace de son sourire, et son sourire la grace de sa pudeur. » Voici un morceau plus large ; c’est une Diane nue surprise par Vénus. Leigh Hunt ne sait s’il l’attribuera au Titien ou à Annibal Carrache.


« Vénus vint dans les bois déserts et y trouva la déesse avec ses nymphes se délassant au bord d’une fontaine des fatigues de la chasse. Les unes se lavaient avec la rosée liquide et enlevaient de leurs membres charmans la poussière mêlée à la sueur qui en ternissait les teintes vives, d’autres fuyaient sous l’ombre le soleil brûlant ; celles qui restaient veillaient attentives autour de la déesse.