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dans un fourreau de fer-blanc bosselé. Le pauvre diable, uni déjà à lady Montagu par les agrémens du plus intime commerce de l’esprit et des lettres, s’avisa un jour, la voix tremblante d’émotion, de lui déclarer sa flamme ; la jeune femme et la grande dame, répondit par l’éclat de rire le plus involontaire, le plus soudain, le plus franc, le plus humiliant par conséquent et le plus cruel pour le chétif amoureux confus. L’orgueil blessé changea l’amour en haine dans l’ame de Pope : il se vengea par des épigrammes. Personne, dans la satire, ne faisait siffler plus lestement le fouet et ne portait de plus cuisantes blessures que ce bel esprit, qui s’était trompé de corps en naissant. J’en voudrais donner une idée par un échantillon de ses satires politiques. Ici encore, nous pourrons faire toucher du doigt la différence qui distingue l’humour de l’esprit. Addison, le facile écrivain du Spectateur et le secrétaire d’état, était un humourist, même en politique. Les travers des partis n’amènent sur ses lèvres qu’un fin sourire caustique. De son temps, les femmes portaient des mouches ; de son temps aussi, elles prenaient feu pour la politique, elles étaient avec passion whigs ou tories. Les mouches et la politique se mêlant dans la boîte au fard, il arriva que les dames whigs portèrent leurs mouches d’un côté du visage, et les dames tories de l’autre ; les neutres les plaçaient au milieu. Addison plaisante gentiment sur cette guerre civile allumée par la politique dans la toilette. Il est à l’Opéra, il voit Rosalinde, une whig déclarée : « Je dois remarquer, dit-il, qu’elle avait très malencontreusement une mouche sur le côté tory de son front. Comme cette mouche était très voyante, elle a occasionné un grand nombre de méprises : elle adonné sujet aux ennemis de Rosalinde de la représenter faussement comme révoltée contre les principes whigs. » Voilà l’humour appliqué à la politique de ruelle. Voici l’esprit bouillant dans le cœur d’un homme libre et d’un sage indigné, et attachant une flétrissure vengeresse une faiblesse ignoble : c’est le portrait d’un homme politique, le duc de Wharton, enlevé par Pope avec une vigueur de touche singulière ; on dirait que le moule a été pris sur un masque de notre temps, sur un de ces parasites des applaudissemens de la multitude, — « l’animal aux têtes frivoles, » disait La Fontaine, sur un de ces éhontés adulateurs du peuple, — « tyran jaloux de quiconque le sert, » disait Voltaire, — enfin sur un de ces mendians de popularité que nous voyons parader honteusement sur les tréteaux révolutionnaires. On en fera l’application à qui l’on voudra. En lisant ces vers, le nom contemporain vient aux lèvres, il est inutile de l’écrire.

« Les mœurs changent avec la fortune, l’humeur avec la température, les opinions avec les livres, et les principes avec le temps.

« Recherchez donc la passion dominante : là seulement est la constance de l’ame mobile, le secret du rusé, la consistance du sot et la sincérité de l’hypocrite. Cette clé une fois trouvée, tout le reste est révélé ; la perspective s’éclaire,