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secouent des feuilles vertes la poussière de l’aride été s’agitent avec un murmure craintif, comme si elles avaient peur d’éveiller un oiseau chanteur. » Vers charmans, dont Alfred de Musset, dans une élégie pleine des senteurs et des mélodies de la nuit, a rendu le motif avec une grace exquise, par une instinctive rencontre d’inspiration.

Ce n’était qu’un murmure ; on eût dit les coups d’aile
D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux
Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux.

Alors les belles rimes et les belles strophes s’allument dans la tête des poètes, comme les astres et les voies lactées au ciel et dans le miroir des lacs tranquilles. La pensée et le sentiment s’épurent et s’élèvent. « Minuit, a dit une femme, mistriss Barbauld, en un distique sublime, est le midi de l’ame, et la sagesse monte à son zénith avec les étoiles. »

This dead of midnight is the noon of thought
And wisdom mounts her zenith with the stars.

Cette splendeur céleste du midi de la nuit, jamais poète ne la réfléchit avec un sentiment plus profond, plus transparent, plus limpide et plus mélodieux que Shakspeare. Sa poésie s’exhale au clair de la lune comme une lente et pénétrante émanation des fleurs et des eaux, comme une vapeur calme et argentée qui baigne les champs dans les opulentes nuits d’été. Je ne connais pas, en ce genre, de plus beau nocturne que l’idylle contemplative et rêveuse entre Lorenzo et Jessica dans le Marchand de Venise.

« Comme le clair de lune dort doucement sur ce banc de gazon ! (dit Lorenzo.) Asseyons-nous ici et laissons les sons de la musique arriver à nos oreilles : le calme de la nuit convient aux accens d’une douce harmonie. Regarde la voûte du ciel incrustée d’une multitude infinie de patènes d’or brillant. Il n’y a pas un astre parmi ceux que tu vois qui, dans ses mouvemens, ne chante comme un ange dans le chœur des jeunes chérubins. Il y a une semblable harmonie dans les ames immortelles ; mais, tant que ce boueux vêtement de déchéance nous enferme, nous ne pouvons l’entendre. Venez, musiciens, éveillez Diane avec une hymne. — Je ne suis jamais gaie (dit Jessica) lorsque j’écoute la douce musique. — C’est que ton ame est attentive… L’homme qui n’a pas de musique en lui-même, où qui n’est point ému de l’accord des doux sons, celui-là est né pour les trahisons, les stratagèmes et le pillage. Les émotions de son ame sont aussi opaques que les ténèbres, et ses affections noires comme l’Erèbe. Ne vous fiez jamais à un tel homme. »

Nuits sereines, qui embaument les purs amours et bercent les chastes sommeils ! C’est en une pareille nuit que s’entrelacent la comédie fantastique et la comédie amoureuse du Songe d’une nuit d’été, en une nuit pareille qu’Imogène s’endort devant le voleur de son bonheur, Jachimo, qui dérobe dans sa chambre un gage qui puisse faire