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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/180

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Le mépris de la loi nous a poussés de précipices en précipices. Pourquoi disaient les insurgés de juin, pourquoi n’avez-vous pas fait la loi que nous voulions ? Il n’y a plus de bonne loi que la loi qu’on veut : une pour celui-ci une pour celui-là, une autre pour cette heure, une autre encore pour le lendemain. La loi n’est plus qu’un caprice, parce que l’autorité n’est plus qu’un fantôme, dès que l’on a émoussé où brisé dans ses mains l’arme sainte du châtiment.

Nous ne sommes pas des rhéteurs qui nous plaisions à des phrases, nous sommes des citoyens qui embrassons notre patrie dans une dernière étreinte, pour la disputer à cette fatale mollesse sous laquelle nous la sentons plier. Nous voudrions relever un peu l’énergie publique, la rattacher à des principes que nous croyons les principes sauveurs, et mettre la sévérité à l’ordre du jour, sans souci des déchaînemens de la faiblesse furieuse. Est-il si étonnant que le malade crie quand on le panse ? Nous sommes cruellement malades ; d’étranges aberrations égarent bien des esprits dans cette foule, aujourd’hui maîtresse de notre avenir qu’elle gaspille. Une confusion effroyable troublé ces étroites cervelles, fanatisées par de plats mensonges, comme on l’était en d’autres temps par des illusions généreuses. Une religiosité de fantaisie se mêle à tous les blasphèmes du radicalisme et rassure les adeptes timides par une apparence de moralité prétentieuse ; elle insinue encore plus avant dans les cœurs les semences de haine et de malédiction, en les consacrant par la douceur perfide des homélies fraternelles. Aussi ne sait-on pas ce qui s’amasse de colères concentrées chez tous ces hommes qui se croient vaincus, mais non pas punis ! C’est sans doute la déplorable destinée des révolutions de placer la justice dans le succès. Si nous voulons enfin rétablir l’ordre moral aussi bien que l’ordre matériel, persuadons à ces ames rebelles par une vigoureuse discipline, par une rude main-mise, qu’il y a telles actions qui inspirent trop d’horreur, pour que la victoire même puisse jamais les innocenter.

Voyez seulement s’il y a de grands repentirs à couronner, si le temps est déjà venu de relâcher l’action de la loi, si les ténèbres se dissipent, M. Barbès revendique la gloire d’un contact amical avec des assassins et des voleurs, parce que les Athéniens honoraient Harmodius et Aristogiton, et parce que Jésus a donné place au bon larron dans la république d’en haut. Des dupes désabusées ont beau révéler le mauvais sort que leur a préparé M. Cabet au fond de son Icarie ; il ne manque pas encore de pieux disciples pour leur reprocher leur défection et dire toujours notre père à ce ridicule bonhomme. M. Proudhon trouve des souscripteurs pour payer ses amendes, et, à la rage du pugilat quotidien qu’il soutient contre une autre feuille rouge, on peut juger de la violence des passions qui couvent dans ces sombres officines. Et ces passions ne sont point uniquement, à tout prendre, les aigres fermens de cœurs qui se dévorent ; ce sont aussi les suggestions pitoyables d’esprits faussés. Allez aux banquets des démocrates socialistes : vous y assisterez aux plus sottes comédies, si l’on peut appeler ainsi les plus tristes symptômes d’un dérangement vaniteux chez tant d’intelligences. Les soirées saint-simoniennes étaient Dès merveilles de goût et de sens commun à côté de ces misérables plagiats d’allégresse humanitaire. Les débris féminins de la rue Monsigny et de la salle Taitbout viennent encore étaler là les maigres trésors qui leur restent ; de jeunes néophytes, les cheveux et