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soit en contradiction avec leurs antécédens et avec eux-mêmes. Qu’est devenu l’ascendant de cette école historique et philosophique qui honorait avant la révolution et Florence et Turin ? Qu’est-il arrivé de ces historiens progressistes comme Balbo et Capponi, de ces esprits spéculatifs comme Gioberti et Mamiani, de ces économistes rénovateurs comme Ridolfi et Petitti ? ou bien la popularité les a trahis, ou bien ils se sont livrés eux-mêmes pour l’amour de la popularité.

L’un d’eux cependant, M. Massimo d’Azeglio, vient de relever cet honorable étendard du sage patriotisme. Malgré le naufrage de ses anciens amis et de ses plus chères illusions, il veut dire encore à présent ce que son parti avait souhaité quand il était pur et fort. Il a intitulé sa récente brochure Espérances et Craintes. C’est une noble protestation contre la victoire du désordre, un appel énergique aux principes qui auraient pu l’empêcher, une défense résolue de la politique des modérés italiens. Le plan des modérés, tel que le déroule M. d’Azeglio, c’était de commencer par former le peuple aux institutions représentative dans la commune et dans la province, avant de le lancer, sans expérience, en plein constitutionnalisme ; c’était de former des électeurs, des députés, des ministres, qui sussent au moins ce que c’est que l’élection, la députation et la responsabilité. Les radicaux ont empêché tout cela, par la brusquerie de leurs manœuvres ; ils ont étouffé l’émancipation pour l’avoir trop hâtée. M. d’Azeglio nous dépeint au naturel l’état du peuple qu’on a voulu chauffer en serre chaude. « L’Italien, dit-il, pour les quatre vingt-dix centièmes de la nation, l’Italien, avant le jour d’hier, n’avait d’autre idée politique que cette idée très simple : d’un côté, des francs-maçons au service du diable ; de l’autre, un pape et des princes qui envoyaient les francs-maçons en enfer ; entre les deux, l’Autriche mettant le holà et sortant de la machine pour les coups de théâtre : Deux ex machina. Les gens de la campagne n’en savaient pas plus. Quand on leur parlait de chasser l’Autrichien, il leur arrivait de répondre : Qu’est-ce qui prendra sa place ? Ils ne sont pas aujourd’hui beaucoup plus avancés dans leur érudition. »

Ne rions pas trop de cette simplicité : le suffrage universel ne nous a pas donné la science infuse, et l’on en apprendrait de belles, si l’on interrogeait les votans de nos villages. Ce qu’on n’apprendrait point, par exemple, nous le croyons de toute notre ame, c’est qu’ils pussent jamais se familiariser avec la pensée que l’étranger vint s’asseoir à perpétuité sur leur escabeau. Dans notre ruine croissante, c’est encore là du moins le nerf qui nous soutient. Plaise à Dieu que cette dernière fibre du vieil honneur français ne se dessèche point comme tant d’autres !




V. de Mars.