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prend l’in-octavo humide et se cherche à travers les pages non coupées. Hélas ! son article y était bien, mais mutilé, mais replâtré d’un badigeon stupide. Pauvre Lamb ! lui, délicat, raffiné, amoureux du détail comme un imagier du XIVe siècle ! une main brutale, celle de Gifford (le cordonnier ! disait Lamb dans sa colère) avait repassé du gros fil dans la capricieuse broderie de sa fine dentelle. On avait mis des lieux communs bêtes à la place de ses plus élégantes fioritures. L’ignorant ! le rustre ! criait Lamb, s’aviser de corriger un style teint du coloris des meilleurs maîtres ! « car, écrivait-il à Wordsworth, je laisse les vers à plus fort que moi ; mais, en prose, je me tiens pour un malin. » Le crime était irréparable ; seulement Lamb jura qu’on ne le reprendrait plus aux boutiques de critique correcte.

Lamb fit sa plus belle campagne au London Magazine, fondé en 1820. Ce recueil débuta sous de brillans auspices. En tête de ses collaborateurs étaient le grand critiqué W. Hazlitt, l’intime ami de Lamb depuis 1806, Barry Cornwall, de Quincy, l’auteur des Confessions d’un mangeur d’opium, et le rédacteur en chef John Scott, excellent esprit, véhément écrivain. Ce fut dans ce recueil que Lamb publia ces charmantes fantaisies signées Elia, dont il n’y a plus à parler après M. Chasles. Cependant, à la suite d’une violente polémique avec le Blackwood, le malheureux Scott fut tué en duel. Depuis ce moment, le succès du London alla déclinant. Lamb le quitta avant sa chute en même temps que plusieurs de ses collaborateurs les plus distingués. Parmi ceux qui se retirèrent ainsi, se trouvait un personnage qui excitait alors l’intérêt naïf et la curiosité bienveillante de Lamb par ses travers affectés, mais qui devait plus tard produire dans son pays une plus étrange sensation par ses crimes. Ce singulier collaborateur de Lamb se nommait M. Thomas Griffiths Wainwright.

Un jour, dans le cercle des rédacteurs du London, on vit paraître un jeune homme qui n’avait pas trente ans : des airs de militaire mêlés aux recherches d’un dandysme outré, le ton superficiel, leste et impertinent d’un fat accompli. Ce nouveau venu était présenté par les propriétaires de la revue ; on se disait à l’oreille qu’il avait été officier de dragons et qu’il avait dépensé plusieurs fortunes ; pour se délasser des accidens orageux d’une jeunesse élégante, il venait maintenant s’occuper de littérature périodique avec la grace nonchalante d’un amateur. Sa part dans la tâche commune était indiquée ; il dessinait d’un trait élégant et hardi ; son portefeuille regorgeait de brillantes esquisses ; il s’attribua donc le département des beaux-arts. Wainwright c’est le nom du lion écrivain, prit le pseudonyme de Janus Weathercock, autrement dit Janus Girouette ; ses articles s’appelèrent « sentimenialités sur les beaux-arts, par Janus Girouette, — pour être continuées quand il sera d’humeur. » Sous cette étiquette, Wainwright