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écrivait des impertinences aussi pincées que ses surtouts, des banalités aussi prétentieuses que ses nœuds de cravate, des fantaisies aussi incroyables que ses bagues et ses épingles. C’était Brummell la plume à la main. Wainwright daigna témoigner quelque goût pour Lamb. Notre humoriste, friand d’originalité, enchanté de plaire à un roué fashionable, paya Wainwright de retour : il ne vit pas, dans son engouement, qu’il fallait renvoyer ce fat, fût-il honnête homme, à la littérature des journaux de modes. Mais ce n’était pas même le sort que l’avenir réservait à ce fringant personnage. Le chevalier d’industrie existe encore en Angleterre dans ses plus colossales proportions, s’élançant au dandysme pour tomber dans l’escroquerie et le crime. Wainwright parcourut cette route à travers un mystère tragique. En 1830, il vivait sur une propriété, dont il venait d’hériter, avec sa femme, et deux sœurs de sa femme, orphelines, dont l’aînée était une belle et fraîche jeune personne de vingt ans. Il était arrivé à cette crise inévitable de la vie des dissipateurs, où tous les stratagèmes sont épuisés, où il faut rendre gorge à la meute affamée des créanciers. On allait vendre son dernier asile. Dans ces circonstances, il se présenta avec sa jeune belle-soeur au bureau d’une compagnie d’assurances sur la vie, et la fit assurer à de telles conditions, que ses héritiers auraient droit à une prime de 3,000 liv. st., si elle mourait avant trois ans. La belle enfant fut ainsi conduite, sans trop savoir le but de ces démarches, de compagnie en compagnie, et la même opération renouvelée si souvent, que sa mort devait procurer 48,000 liv. à ses héritiers. Wainwright ne s’arrêta que lorsqu’on ne trouva plus de compagnie assez complaisante à accepter un pareil enjeu. Alors la malheureuse fille fut prise d’une maladie soudaine qui l’emporta en deux jours. Wainwright réclama les primes ; les compagnies, n’osant dénoncer l’assassinat, accusèrent la fraude et refusèrent de payer. Wainwright, forcé de quitter l’Angleterre, vint en France, où il se fit arrêter comme voyageant sous un nom supposé. On trouva sur lui de la strychnyne, et il subit un emprisonnement de six mois. Retourné en Angleterre en 1837, il fut pris et condamné, sur une accusation de faux, à la déportation. Lamb ne vit pas la fin du misérable qui avait un instant séduit sa bonhomie il était mort en 1834.

J’ai déjà dit qu’il avait quitté, en 1825, ses bureaux de la compagnie des Indes. Ses dernières années appartinrent exclusivement à la vie littéraire. Sa réputation était allée en grandissant, et, en même temps que sa renommée, le goût et l’affection qu’il inspirait. Ce dernier succès était celui auquel il était le plus sensible. « Que j’aime à être aimé ! écrivait-il gaiement un jour à miss Wordsworth ; on me flatte dans les magazines, les journaux et les petites revues ; les revues trimestrielles le prennent de plus haut, mais il faudra qu’elles y viennent avec le