beauté. En politique, ils inclinaient au libéralisme radical, qu’il ne faut point confondre avec le radicalisme idiot qui hébète et ravale aujourd’hui la France. En littérature, ils s’appliquaient tous à augmenter et à épurer les vibrations de la fibre poétique, à étendre et à rajeunir les claviers de l’expression. Lorsque le cœur vous bat pour les aspirations et les efforts qui tendent à l’agrandissement de l’homme, on est ému du spectacle de ces esprits actifs, entreprenans, enthousiastes, qui se mêlaient avec une féconde émulation et se portaient vaillamment les uns les autres dans leur marche ascendante. Les mercredis de Lamb étaient l’atmosphère où ils venaient renouveler le souffle qu’ils allaient répandre çà et là, chaque jour, dans leurs œuvres. Raviver l’inspiration, l’entrain, le courage, qui s’éteignent dans l’isolement individuel, ramasser en une force collective les talens divers qui se perdraient dans l’éparpillement, et par là exercer sur la société une action profonde et durable, relever constamment le niveau commun, telle est l’influence inappréciable de ces foyers, où se forment et s’aimantent des groupes d’esprits sympathiques. Ceux dont nous parlons, ouverts à tout, à la philosophie, à la politique, aux arts, se trouvaient sur la limite qui sépare les lettres du monde ; c’est en y restant qu’ils concoururent puissamment au progrès social de leur époque. Le progrès social est double en effet ; il se compose, d’un côté, de l’avancement intellectuel et du progrès des idées, de l’autre, des améliorations pratiques, de la réalisation quotidienne du mieux, du progrès des choses. Sous sa première forme, il est l’œuvre naturelle des poètes, des penseurs, des savans et des artistes ; sous la seconde, il appartient aux hommes d’affaires, aux hommes pratiques et aux politiques. Dans les sociétés saines et bien organisées, hommes d’idée et d’art, hommes de pratique et de gouvernement, poussent en avant, chacun dans la ligne de sa vocation ; les premiers ne regardent point comme une destinée médiocre la mission de faire penser leurs contemporains, et ne songent pas à usurper la tâche des hommes d’état. Là la gloire de sir Robert Peel ne fait point envie à Wordsworth ; là, l’essor de la vie intellectuelle s’élève et plane sur le développement de la vie politique ; là, il y a progrès. Mais dans les pays comme le nôtre, où toute chose et tout homme sort de sa voie, où toutes les attributions se confondent, où toutes les ambitions déraillent, où les scribes de tabagie mettent la main sur le portefeuille rouge, ou un lakiste veut être président de la république, où les Phaétons de fiacre montent sur le char du soleil, — il y a révolution, et tout se précipite, par la même décadence, à la même ruine. Ainsi, nous voyons en France l’indigence intellectuelle s’étendre avec le désordre politique ; les idées, désertées par ceux qui avaient mission d’en alimenter les sources vives, se corrompre dans une stagnation stupide ; l’ignorance envahir rapidement l’esprit national, et, injure suprême,
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