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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/247

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elle précisément la grandeur des préparatifs dont elle avait été l’objet et l’importance du but proposé aux nouveaux explorateurs. Le gouvernement devait naturellement l’envisager d’un point de vue plus élevé qu’une spéculation de commerce ou qu’un simple voyage de découvertes. Il avait l’intention de la faire servir à la suppression de la traite des noirs, au développement du commerce régulier, à la civilisation des naturels par des prédications et par l’enseignement pratique de l’agriculture. Trois personnes, revêtues du titre de commissaires du gouvernement, furent chargées de faire, avec les souverains des états nés le long du fleuve, des conventions écrites où l’on stipulerait l’abolition de la traite et la concession de privilèges commerciaux exclusifs pour la Grande-Bretagne. En outre, il fut décidé qu’une ferme-modèle serait établie dans l’intérieur comme poste avancé et permanent de la civilisation.

Rien ne fut négligé d’ailleurs pour le succès de l’expédition. Le gouvernement fit construire deux bâtimens à vapeur en fer de mêmes dimensions, qui tiraient chacun un mètre quatre-vingt-trois centimètres : on les nomma l’Albert et le Wilberforce. Un troisième navire, plus petit et plus léger, le Soudan, fut adjoint aux deux autres, pour leur servir d’éclaireur. Le capitaine Trotter, de la marine royale, prit le commandement de l’Albert ; le capitaine William Allen fut chargé de la conduite du Wilberforce, et M. Bird Allen fut mis à la tête de l’équipage du Soudan. On se souvient que ces deux derniers officiers avaient fait le même voyage en 1832. Ils avaient fait le même voyage en 1832. Ils avaient donc une connaissance toute spéciale des localités. L’invention nouvelle des cloisons intérieures, imaginées pour isoler les principales parties des bâtimens à vapeur, avait été appliquée aux trois navires. On y avait adapté un appareil particulier de ventilation, et les roues, en tournant, agitaient des espèces d’éventails destinés à entretenir un courant d’air à l’intérieur.

L’expédition partit de Devonport le 12 mai 1841. La traversée fut pénible et lente. Les qualités qui rendaient les trois navires propres à la navigation fluviale leur nuisaient à la mer. Ce ne fut que le 13 août qu’on arriva à l’entrée du Niger. La barre en fut franchie non sans quelques avaries. On pénétra dans le fleuve. Le premier objet qui frappa les regards des marins pouvait passer pour un triste présage. À l’embouchure même, sur la grève, gisait le cadavre mutilé d’une femme. Le courant l’avait apporté de l’intérieur, et la marée, en se retirant, l’avait laissé étendu sur le sable. Dès l’abord l’expédition fut ainsi initiée aux sanglantes superstitions des peuples païens de l’Afrique. Cette femme avait sans doute été sacrifiée aux dieux. Telle est la force de l’habitude, que les naturels interrogés sur les causes du meurtre dont on avait sous les yeux la preuve funeste, se mirent à rire, étonnés de que les blancs s’inquiétaient de si peu de chose.