Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
288
REVUE DES DEUX MONDES.288

encore, c’était aussi une petite sotte. Heureusement on pouvait aisément se passer de la revoir et l’oublier plus aisément encore. Voilà ce que Ladislas disait ; mais, en pensant qu’il fallait oublier, il se souvenait. Il se souvenait si bien, qu’une semaine après, il était furieux comme le premier jour. Jusqu’à ce moment, il avait espéré, au fond du cœur, qu’il lui tomberait du ciel quelque consolation, c’est-à-dire qu’un billet lui arriverait de Pologne. Rien ne vint ; la poste, pas plus que le ciel, ne secourut son infortune, et son imagination, excitée par ce dénoûment imprévu, se mit à chanter un long duo avec sa vanité blessée. Les heures passaient cependant. Ladislas attendit trois jours encore, puis une semaine ; enfin, n’y tenant plus, ennuyé de Paris, las des aventures, honteux d’attendre, il résolut de secouer sa tristesse. Un soir, il monta dans la malle-poste de Bordeaux et partit pour les Pyrénées.

La poussière des grandes routes a été de tout temps considérée comme un des plus puissans dérivatifs des peines du cœur. En arrivant à Cauterets, Ladislas n’était cependant pas guéri. Il pensait beaucoup encore à son infidèle, et dans ce souvenir son esprit trouvait un texte inépuisable de réflexions fort diverses. Tantôt, dans ses heures de mécontentement, il jugeait avec sévérité sa belle compatriote ; tantôt, au contraire, il se sentait porté à l’indulgence. En définitive, qu’aurait-elle pu faire ? Il n’était pas si injuste que de ne pas admettre telles situations et telles organisations qui font à la vertu un rôle difficile. En définitive, elle était adorable, et il faut que le cœur de l’homme soit un composé bien bizarre pour qu’il aille chercher toujours des causes de dédain là où il ne devrait trouver que la reconnaissance. La saison des eaux tirait à sa fin, et les fraîcheurs de l’automne chassaient les baigneurs des montagnes. Parmi les plus intrépides hôtes de Cauterets se trouvaient, comme à l’ordinaire, une quantité de jeunes Espagnols. Ladislas les suivit à Madrid. Il passa trois mois en Espagne. Quand il revint à Paris, le souvenir de son aventure de Chantilly s’était fort éloigné. Il y songeait à peine comme à un rêve lointain.

Il arriva par une de ces soirées de décembre si brumeuses, si désagréables à Paris, surtout pour qui revient des pays du soleil. Le froid vous pénètre, le brouillard vous aveugle, l’air empeste. Il retrouva son appartement sombre et glacé. Il y régnait une insupportable odeur de renfermé. Sur le parquet étaient épars divers objets qu’il avait jetés à la hâte, trois mois auparavant, en faisant ses préparatifs de départ. Je ne sache rien de plus triste que ce désordre qui vous reporte tout d’un coup à un instant oublié de votre vie. Pendant votre absence, le temps a jeté sa poussière sur ces souvenirs du passé. Depuis votre départ, votre vie s’est dépensée ailleurs, et vos heures se sont enfuies comme le jour vers lequel vous revenez. Il semble que dans votre existence se trouve