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lections zoologiques vraiment dignes de ce nom remontent à peine à deux siècles. La première ménagerie sérieuse date de la convention française et de Geoffroy Saint-Hilaire, qu’on doit en regarder comme le fondateur. Ainsi les populations n’ont pas été habituées de longue main à attacher de l’importance à la science des animaux. Les ignorans n’y ont vu qu’une affaire de curiosité et n’ont pas songé à lui demander des renseignemens utiles. Or, en matière de sciences, nos hommes d’état sont volontiers du parti des ignorans. Aussi ne trouve-t-on encore nulle part en France un enseignement de zoologie appliquée[1], et cependant, tout comme la botanique, cette science intéresse le commerce, l’industrie, l’agriculture, et touche aux grands intérêts des nations. À vouloir citer de nombreux exemples, nous n’aurions que l’embarras du choix. Si, parmi tant d’animaux utiles dont l’histoire confirmerait nos dires, nous avons choisi le hareng, c’est précisément à raison de l’humilité du rôle qui semblerait devoir être départi à un petit poisson de quelques centimètres de long, et que rien ne distingue des plus obscurs représentans de sa classe.

Le hareng appartient à un grand groupe de poissons dont les affinités naturelles ont été reconnues depuis long-temps, et dont plusieurs espèces étaient connues des naturalistes de la Grèce et de Rome. Aristote nous a laissé des détails sur l’alose (Θρισσα), sur la sardine ou la mélette (Θριχις, Θρίχίας), qu’il semble regarder comme trois âges différens de l’apua de Phalères ; sur l’anchois (Εγγρασιχολος, Εγγραυλις, Δυαοστομος), qui résulte, selon lui, du développement de l’apua du port d’Athènes. Alors, comme de nos jours, on salait ces divers poissons pour les conserver. Un des personnages d’Aristophane s’écrie : « Malheureux que je suis de m’être plongé dans la saumure des trichides ! » Ailleurs le même poète parle de trichides comme d’un objet d’approvisionnement pour les flottes. Athénée, Strabon, avaient déjà observé dans le Nil les habitudes d’émigration de l’alose, et, pendant l’expédition d’Égypte, Geoffroy Saint-Hilaire a constaté l’exactitude des faits rapportés par eux. Pourtant les notions justes recueillies dès cette époque se mêlaient trop souvent à des erreurs absurdes. C’est ainsi que Callisthène, parlant de l’alose sous le nom de clupea, prétend qu’on trouve dans sa tête une pierre semblable à un grain de sel, qui guérit, à coup sûr, les fièvres quartes, pourvu qu’on l’applique lors du déclin de la lune sur les parties gauches du corps. Le même auteur ajoute que le clupea est blanc quand la lune croît, qu’il devient noir pendant le décours de cet astre et que, parvenu au terme de sa croissance, il est décomposé par l’action de ses propres arêtes. Ce dernier conte

  1. On sait que le projet sur l’enseignement agricole présenté par M. Tourret et adopté par l’assemblée nationale renferme des dispositions destinées à combler cette lacune.