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mais, de bonne foi, ce ne sont point là des titres qu’on puisse invoquer en république auprès du chef de l’état, pour s’arranger une place à son ombre : les flatteurs de la royauté ne s’en seraient pas permis davantage !

L’histoire de cette course aux ministères dont les héros ne sont point du tout anonymes est probablement terminée. Si courte qu’elle soit, elle ne manque pas cependant d’aventures assez piquantes, et ce petit drame plus intime que politique a plusieurs actes et plusieurs tableaux, comme si c’était une grande pièce.

La difficulté dans la composition d’un cabinet, c’est qu’on n’y peut pas mettre tout le monde. M. Billaut, par exemple, possède toutes les qualités qu’il faudrait pour faire un ministre comme un autre ; M. Barrot le lui disait hier avec à-propos. M. Crémieux est libre d’imaginer qu’il ne figurait pas si mal à la justice, et M. Jules Favre, qui a beaucoup pratiqué tous les partis, peut supposer que son avènement les lui concilierait tous. Quant aux républicains d’avant février, ils n’ignorent pas qu’on n’a point chaque matin une révolution a volonté pour vous bombarder ministre ; mais ils ne sont pas dénués de ressources plus humaines : ils ne dédaignent plus l’art de se rendre agréables ; ils se découvrent de l’entregent, ils se connaissent même à la tactique ; suivez plutôt les habiletés de M. Dupont de Bussac. Seulement il leur arrive, comme aux vieux petits maîtres, de se croire toujours invincibles. Ainsi M. Marrast avait, dit-on, la semaine dernière un peu trop compté sur ce talent spécial ; le talent, pour n’avoir pas réussi, n’en est pas moins avéré. Quoi qu’il en soit, et toute justice rendue à ces personnes plus ou moins éminentes, que M. Barrot n’a point appelées avec lui dans le cabinet, il est bien évident que celles-ci par une raison, celles-là par une autre, ne devaient point y entrer. Le président aurait pu sans doute les charger elles-mêmes de la conduite des affaires et leur donner sa confiance à l’exclusion de ceux qu’il a préférés. Il ne l’a pas fait ; il a jugé que le pays lui saurait gré de s’entourer d’hommes dont le caractère politique ne fût point entamé où obscurci ; il a été dans ses choix décidément conservateur. Pas un de ceux que leur républicanisme avait pu porter à quelques ménagemens pour les tendances socialistes, pas un ne s’est assis dans les nouveaux conseils de la France., le président avait d’ailleurs un juste sujet de croire que ses offres, s’il en avait risqué de ce côté-là, eussent été mal accueillies. Sa candidature n’avait nulle part trouvé d’adversaires plus personnellement hostiles. Se serait-on douté que ces adversaires violens jusqu’à la brutalité pussent en un moment devenir des adhérens si tendres ? Merveilleux progrès dans l’art des conversions ! et combien le prestige du scrutin populaire peut couvrir d’accommodemens ! Le parti modéré s’est divisé à propos de la candidature de M. Louis Bonaparte : les uns l’ont appuyée ; les autres l’ont combattue ; mais ni ceux qui l’ont combattue n’ont employé contre elle des armes aussi grossières, ni ceux qui l’ont appuyée ne se sont mis aussi entièrement à la discrétion du candidat que ces zélés républicains, qui, après l’avoir traîné dans la boue, lui font à présent une cour si empressée. Ils seraient, à les entendre, les seuls capables de préserver sa personne contre le flot de la réaction qui veut à la fois emporter et sa personne dynastique et sa magistrature républicaine. Républicains par excellence ils le serviraient, ils l’aimeraient par prédestination ; ils lui livreraient une assemblée gracieuse et soumise, une France reconnaissante et bonapartiste, Un république suffisamment démocratique et quelque peu sociale, juste autant qu’il