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M. Jules Favre ne se décourage pas pour si peu. Il n’est pas homme à laisser tomber à terre les mauvais cas qu’on peut ramasser, et puis, comme il ne sait que faire de son cœur, il a évidemment résolu de le consacrer à l’adoration du président. Il aime le président plus encore et surtout plus à fond que M. Dupont de Bussac. M. Dupont ne veillait qu’à la prérogative du chef de la république ; M. Jules Favre veille à son honneur, il lui fournit publiquement le moyen d’y pourvoir ; il l’invite « à se séparer de ces hommes qui ne cherchent qu’à le déconsidérer, » il le presse « de s’appuyer sur la France républicaine, démocratique, honnête, qui ne souffrira point de pareils abus de con fiance. » Il s’agit en effet du billet malencontreux qui a effarouché la prud’homie de M. de Maleville, et qu’une indiscrétion regrettable a jeté dans le public. M. Favre semble tout prêt à en recevoir de pareils et à les garder. « La France républicaine honnête » n’est ni indiscrète ni perfide, témoin les bons rapports de M. Jules Favre avec son cher ami M. Ledru-Rollin. Quelques vertes paroles de M. Barrot réduisent à confusion ce doucereux moissonneur de scandales. Encore une manche perdue.

Nous passons vite les interpellations de M. Beaune sur la politique étrangère, qui ne nous ont rien appris, si ce n’est que M. de Lamartine et M. Ledru-Rollin ne pensaient point avoir de part dans l’affaire de Risquons-Tout. Nous omettons également le poème presque drolatique de l’iliade médicale dont M. Laussedat tenait à régaler l’assemblée. M. Orfila est, une illustration aimable et légère ; que sa toge lui pardonne ! M. Bouillaud est un grand citoyen anatomiste ; mais qu’importaient à l’assemblée les procès particuliers de ces deux gloires ? Molière ne montrait au grand roi les querelles de la faculté que pour en amuser ses loisirs. Notre constituante est au moins l’égale du grand roi ; seulement les loisirs lui manquent, il faut bientôt qu’elle nous quitte, et c’est là précisément ce qui la blesse. C’est cette blessure que l’intrigue voulait envenimer pour suprême et décisif effort, lorsqu’enfin, par une résolution vigoureuse, l’assemblée vient de s’élever au-dessus des sentimens mesquins que l’on tâchait d’exploiter en elle. Le succès de la proposition de M. Rateau peut être regardé, sauf nouvel incident, comme la défaite de cet étrange parti qui faisait déjà la chasse au ministère en exercice, et que nous appellerons, faute d’un nom plus spécial, le parti des aspirans ou le ministère désigné.

Pour le coup, le corps de réserve a donné ; toutes les batteries se sont démasquées : M. Billaut est monté à la tribune, tenant à la main le dossier de son discours-ministre, un beau discours en vérité ! bien dressé, bien modulé, un beau discours, si l’on en eût défalqué l’orateur ! La proposition de M. Rateau avait été soutenue par M. de Montalembert avec ce mélange de finesse un peu prétentieuse et d’élévation réelle qui caractérise son talent ; M. Pierre Bonaparte avait attaquée avec une rage de vendetta ; la montagne semblait même enivrée de cette éloquence écumante. Parlez-nous de l’éloquence de M. Billaut ! Celle-là ne bouillonne pas si fort ; elle sait où elle va, elle le sait si bien, qu’elle le montre trop et qu’on ne veut pas la suivre. M. Billaut est maladroit à force d’adresse : il y a long-temps déjà qu’il fait pénitence de ce péché-là L’assemblée prendra ou non en considération la proposition de M. Rateau, qui l’engage à se dissoudre ? La belle affaire pour M. Billaut ! C’est la faute du ministère, delenda est Carthago ; donnez-moi mon portefeuille : voilà tout ce qu’il voit en tout, et