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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/350

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Ce n’est donc pas un médiocre honneur à Fourier d’avoir initié notre siècle au principe de l’association. Pour atténuer ce mérite, on dira peut-être que l’association n’est autre chose qu’un développement du principe proclamé et conquis par nos pères, une simple application de la liberté. Cela est vrai ; mais il est vrai aussi qu’avant Fourier, ce lien intime entre la liberté et l’association, clair aujourd’hui comme le soleil, n’avait pas été aperçu. J’en citerai une preuve décisive : c’est le décret de la constituante qui, en proclamant la liberté du travail, proscrit sans retour l’association[1]. Si donc il est reconnu aujourd’hui de tous les bons esprits que l’association est tout ensemble le contre-poids le plus désirable et le développement le plus légitime de la liberté, sachons reconnaître que cette vérité capitale est sortie d’une école socialiste ; l’oublier serait ingrat, le taire systématiquement serait puéril.

L’intervention de l’état n’a pas trouvé d’abord les économistes moins rebelles que le principe de l’association, et cette hostilité s’explique tout aussi simplement par les conjonctures où l’économie politique a pris naissance. Elle avait à lutter contre le despotisme, qui, sous prétexte de se charger à lui tout seul de la protection de l’individu, l’absorbe et l’opprime. De là une défiance bien naturelle à l’égard de l’état, et une disposition prononcée à élargir indéfiniment la sphère de l’activité individuelle. Le dernier terme de cette tendance, c’est de réduire le rôle de l’état à la police de la société. Adam Smith incline visiblement à cette extrémité, et il serait aisé de signaler dans les économistes français, J.-B. Say et Destutt Tracy par exemple, les traces manifestes d’une disposition tout aussi exclusive.

Rien là dont on doive être surpris ; mais quel économiste ou quel philosophe serait reçu aujourd’hui à enfermer l’état dans le cercle d’une fonction aussi humble et aussi vulgaire ? Qui conteste désormais que le gouvernement ait une initiative à prendre, une influence modératrice à exercer dans toutes les grandes affaires matérielles et morales de la société ? Le moment n’est guère favorable, je le sais, pour célébrer les bienfaits de l’intervention de l’état, et le socialisme, ici encore, en forçant une idée juste, a trouvé moyen de la compromettre. Nous avons vu l’état intervenir, on peut le dire, à tort et à travers, s’interposer de la façon la plus violente et la plus fatale à tous les degrés de

  1. Décret du 17 juin 1791 : « Art. 1er. L’anéantissement de toutes les espèces de corporations de citoyens du même état ou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte que ce soit. — Art. 2. Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers ou compagnons d’un art quelconque, ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndic, ni tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlemens sur leurs prétendus intérêts communs. » Voyez Michel Chevalier, Lettres sur l’organisation du travail, p. 266.