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canot appartient au Stratford ; il agite son bonnet au-dessus de sa tête dans sa course vertigineuse, et disparaît au loin accompagné par une triple salve d’acclamations.

La baleine a changé de direction par un brusque effort ; tout à coup le capitaine anglais pâlit, car elle s’avance comme la foudre vers le navire, et son imposant tonnage ne le sauvera pas du choc irrésistible du colosse marin. Une manœuvre désespérée s’exécute ; l’énorme animal trace un sillon de sang et d’écume si près du navire, que le manche en fer du harpon fixé dans son corps effleure le taille-mer. Cependant le canot harponneur, en raccourcissant petit à petit la ligne à laquelle est attaché le fer, s’approche de la baleine ; des coups redoublés teignent les flots en rouge tout autour d’elle, l’eau jaillit sous ses efforts d’agonie ; elle plonge, le bateau file de nouveau sa ligne ; alors s’établit la dernière lutte, la plus redoutable. Le cétacé tournoie en tous sens, un coup de queue brise en pièces un des canots ; puis après cet effort, après cette suprême vengeance, il ouvre ses énormes mâchoires, roule pesamment sur le flanc et expire.

De telles scènes ne sont, pour un navire baleinier, que des accidens fort ordinaires, et le Stratford ne se tient pas content de si peu. Ainsi que le chasseur qui explore tous les coins des bois ou des plaines où peut se retirer le gibier, il continue sa course à travers un groupe d’îles qui semblent jetées çà et là pour présenter à tous les navires qui passent une halte, un lieu de repos. Depuis le commencement du monde, ces îles, que les géographes daignent à peine relever, perdues qu’elles sont entre le continent américain et le groupe des Marquises, comme des tables toujours splendidement servies pour les caprices d’un roi, tiennent à la disposition du matelot fatigué d’une longue navigation, sous le couvert ombreux de leurs arbres, les oeufs de tortues et d’oiseaux de terre, et des myriades de coquillages dont la délicatesse ne le dispute qu’à l’abondance. C’est d’abord une distraction pleine de charmes que ces bouquets de fleurs marines qui tour à tour se montrent et disparaissent ; mais avec quelque enthousiasme qu’on considère la nature à ses diverses heures, soit que le soleil à midi plonge ses faisceaux lumineux dans les flots, soit que le soleil se couche ou se lève sur un lit de nuages, ou se perde, dépouillé de ses rayons, comme un fer rouge sous l’horizon, soit enfin que la lune fasse danser ses lueurs blanches sur la surface de l’océan, la vue de ces merveilles finit par devenir monotone, et l’on se lasse d’un spectacle qui se renouvelle sans varier.

Heureusement quelques épisodes viennent rompre cette monotonie : Une nuit, une de ces nuits si lumineuses des latitudes tropicales où les clartés bleuâtres de la lune feraient honte à notre soleil de décembre, on entend, au milieu du silence de la nature, un son étrange qui semble venir du sein de la mer. Aucun des matelots qui sont à bord