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reconnaissance ou d’attachement pour le champ qui les nourrit, l’arbre qui les protége de son ombre, la fleur qui réjouit leur vue, flatte leur odorat ou complète leur parure. Les travaux de l’agriculture, la pêche, les arts mécaniques, conviennent à leurs goûts, parce que, dans ces heureux climats, où le sol est fertile, la mer calme, les besoins limités, ils n’exigent pas de grands efforts, aucune tension énergique de l’esprit ou du corps. Il faut au Javanais la terre, des occupations rurales, une vie paisible, d’innocentes distractions ; il faut au Malais la mer, les émotions de la navigation, du trafic où du pillage.

Le Javanais est patient et docile, et même actif et zélé au besoin, Dès qu’on a pu réussir à le convaincre que les ordres qu’il exécute n’ont rien de contraire en principe aux lois traditionnelles de son pays, à l’adat, plus sacré pour lui que toutes les lois écrites. En général fidèle et scrupuleux dans l’accomplissement de ses devoirs, il se prête volontiers à l’apprentissage de travaux nouveaux pour lui, quand on lui démontre tranquillement et par des raisonnemens proportionnés à son intelligence les avantages de toute innovation qui, sans compromettre sa responsabilité envers l’adat, personnifié dans ses chefs naturels, lui ouvre une perspective de bien-être, d’aisance et de distinction sociale faite pour flatter ses instincts matériels ou sa vanité ; mais si l’événement trompe son attente, s’il s’aperçoit que les argumens qui l’avaient séduit n’ont pas été présentés de bonne foi ou qu’on cherche à l’exploiter sans merci, ses passions se soulèvent : il passe en un instant de la soumission et du dévouement à la révolte, à la violence. Les habitudes guerrières de sa race sont toujours près de se réveiller en lui, et, muni d’une pique, d’un klewang, d’un fusil où d’un kriss, il se fera justice lui-même, ou se précipitera, à la voix de ses chefs ou de quelques prêtres fanatiques, au rendez-vous marqué par la vengeance.

On voit quels ménagemens le caractère des Javanais impose à leurs maîtres européens. La surveillance trop directe des étrangers les importune, elle leur ôte jusqu’à un certain point l’exercice de leurs facultés. Ils aiment à ne pas être troublés dans leurs travaux, et toute précipitation leur est antipathique. C’est ce que les Hollandais ont compris de bonne heure, et mieux que ne l’auraient fait sans doute d’autres dominateurs occidentaux. Ils ont senti en outre que l’intervention continuelle des chefs indigènes serait la principale ressource et la garantie de leur gouvernement, et ils ont sagement respecté les anciennes institutions dont nous chercherons ici à indiquer rapidement l’esprit.

De tous les royaumes ou principautés indigènes qui ont fleuri à Java et Madura à diverses époques, il ne reste que deux états de quelque importance à Java, Solo où Sourakarta et Youckio où Djockjokarta, et deux sultanats dans l’île de Madura. Encore ces états sont-ils administrés par les princes indigènes sous la surveillance et avec le concours