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même temps une bienveillance naturelle, une légèreté insouciante, les passions de l’enfance plutôt que celles de l’âge mûr. Le Javanais est cependant capable de déployer une certaine énergie et beaucoup de persévérance, soit dans le bien, soit dans le mali, quand il est conseillé par son intérêt ou par ses préjugés, et conduit par un chef, par un maître, par un supérieur en un mot, que ce supérieur soit Européen ou indigène. Il est superstitieux et crédule[1], rarement fanatique, mais religieux dans la véritable acception de ce mot. Certaines pratiques assez irrégulièrement observées satisfont sa conscience. Il trompe moins facilement que le Malais où le Chinois. Il succombe plus aisément à la tentation du vol. L’immense majorité des Javanais n’ayant guère que des instincts et des préjugés, pas de convictions raisonnées, pas de principes, leurs vertus et leurs vices naissent de leur organisation et de leur contact plus ou moins fréquent avec les étrangers. La tendance la plus manifeste de leur caractère est l’oisiveté, le dolce far fiente. Ils ne travaillent jamais, comme le Chinois, pour gagner beaucoup d’argent ou pour s’enrichir, mais seulement pour s’assurer une nourriture suffisante et se procurer quelques amusemens ; et en même temps satisfaire à ce que l’adat exige d’eux dans des circonstances données. Ils ne savent, en général, ce que c’est qu’épargner et ne pensent pas à l’avenir. Le peu qu’ils possèdent, ils le dépensent ou le troquent. Ceux qui sont dans l’aisance achèteront volontiers ou même avec empressement des bagatelles coûteuses, des parures de luxe, mais ils les revendront avec la même facilité dès qu’ils auront besoin d’argent pour satisfaire quelque autre caprice, car la plupart des Javanais sont acheteurs avides, mais inconstans[2]. À leur penchant à l’oisiveté s’allie une appréciation instinctive des beautés de la nature et une sorte de vague

  1. Nous trouvons dans notre journal de voyage la note suivante, qui se rapporte à notre sujet, et que nous copions littéralement :
    « Touhan (résidence de Renbang), lundi 4 avril 1845. — Visité, dans ma promenade du soir avec l’assistant résident, un cimetière javanais à quelque distance de la ville. Les tombes sont ombragées par des groupes de multiplians (Ficus indica) d’une hauteur et d’une richesse de feuillage, de branches, de racines entrelacées, vraiment extraordinaire. M. Kohler (l’assistant résident) m’a fait remarquer parmi ces tombeaux celui d’un pauvre écrivain javanais, sorte de maître d’école fort instruit et dont la mémoire est en grande vénération dans le district. Les jeunes Javanais viennent gratter la mousse qui croit sur cette humble tombe et la mêlent à leurs alimens, dans l’espoir qu’elle développera en eux l’aptitude et l’amour de la science. Quelques-uns passent la nuit étendus sur le tertre mortuaire, pour que tout leur être puisse se pénétrer des émanations de cette sépulture sacrée ; d’autres, dans l’espoir que l’esprit du défunt, errant autour de sa tombe, s’arrêtera un instant sur eux et leur révélera le secret de cette intelligence supérieure qu’ils admirent et qu’ils envient ! »
  2. Les classes inférieures sont fort adonnées au jeu. Le kouli javanais (semblable en cela au Chinois de bas étage) joue souvent le salaire du lendemain, ses habits et jusqu’à son mouchoir de tête, vêtement distinctif de l’homme. Les classes aisées se livrent rarement à la passion du jeu. On rencontre parmi les chefs des amateurs d’échecs.