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productions de cette mer, ils n’ont pu connaître cet hôte de l’Océan septentrional. Il faut arriver jusqu’au moyen-âge pour trouver des renseignemens historiques sur ces poissons que l’industrie moderne répand aujourd’hui dans le monde entier. Une opinion généralement admise comme démontrée reportait même jusqu’au XVe siècle l’art de saler le hareng, et attribuait à un Hollandais, à Guillaume Beukelings de Biervliet, l’honneur de cette invention[1]. Noël de la Morinière a démontré que c’était là une erreur. En Hollande même, on voit, dès l’année 1344, des marchés privilégiés institués par les comtes de cette province pour la vente des harengs, ce qui suppose un commerce, et par conséquent des moyens de conservation. En Angleterre, des chartes des XIe et XIIe siècles mentionnent les harengs salés, et règlent le nombre de poissons que doivent contenir le baril et le tonneau. Dès le XIIIe siècle, les Danois faisaient un commerce de harengs tellement considérable, que Helmold, un des continuateurs de la chronique slavonne, nous les peint comme vêtus de pourpre et d’écarlate, grace à l’or que les étrangers leur apportaient en échange de ces poissons. Vers la même époque, les villes anséatiques, et entre autres Lubeck et Hambourg, devaient une partie de leur prospérité à la même industrie, et avaient des comptoirs de pêche sur les côtes de Norvége. Tous ces faits supposent bien évidemment la connaissance d’un procédé de conservation. Aussi, tout en accordant à Beukelings le mérite d’avoir perfectionné l’art de la salaison, on ne peut lui accorder l’honneur de l’invention.

Notre histoire nationale fournit de nouvelles preuves à l’appui de ces conclusions, et montre que les Français n’étaient pas en arrière des autres peuples sous le rapport qui nous occupe. La pêche du hareng, mentionnée déjà en 1030 dans la charte de fondation de l’abbaye Sainte-Catherine, près de Rouen, prend, dès le siècle suivant, le caractère d’une industrie considérable. En 1441, une véritable compagnie, dans l’acception industrielle donnée de nos jours à ce mot, se forme à Paris sous le titre de Confrérie des marchands de l’eau. Cette société, composée des plus riches bourgeois de la cité, achète la place de Grève, y établit un port de décharge, entreprend le commerce sur toute la rivière, et reçoit de nombreux privilèges. Entre autres droits établis par elle, on voit qu’elle percevait un cent de harengs sur chaque bateau chargé de salaisons. Ce qui achève de démontrer l’importance de ce commerce à l’époque dont nous parlons, c’est qu’il devient pour certains monastères l’objet de concessions et de privilèges parfois vivement disputés. En 1170, l’abbaye d’Eu est autorisée à acheter en franchise tous les ans vingt mille harengs frais ou salés. Vers la même époque, Simon,

  1. Ce pêcheur illustre, — qu’on nous permette l’expression, — est appelé par divers auteurs Benkals, Benkelings, Buckalz et Denkelzoon. Il mourût en 1447.