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sonder les profondeurs de la conscience publique et suivre dans toutes ses phases le mouvement de l’opinion publique en France depuis dix mois.

La révolution du 24 février a produit des effets aussi divers qu’inattendus : quelques-uns se sont déjà amortis et laissent à peine une trace sur le sol ébranlé ; d’autres subsistent qui, loin de s’affaiblir, tendent incessamment à prendre une plus grande importance. Au nombre de ces derniers est l’agrandissement de la scène politique, c’est-à-dire du théâtre où sont mis en jeu les intérêts et les passions qui agissent sur les destinées du pays. Sous la restauration et pendant les dix-huit années du règne de la monarchie constitutionnelle, la vie politique était concentrée à Paris. Ce n’était qu’à de rares intervalles qu’elle s’étendait dans les départemens, et parvenait à y secouer la léthargie où ils étaient plongés. À l’époque des élections générales, elle s’éloignait du centre, et rayonnait, mais tempérée par l’effet de la distance, jusqu’aux extrémités du territoire. Ainsi, quelque temps à l’avance, les journaux de Paris adoptaient une question, habilement choisie, propre à enflammer les esprits. La solution qu’ils indiquaient dans leur polémique quotidienne était le mot d’ordre des partis en présence et servait à les rallier. C’était comme un cartel qu’on échangeait en entrant dans l’arène électorale. Paris faisait plus encore : il décernait par ses comités, par ses recommandations, des certificat de civisme et de vertus patriotiques aux hommes qui se présentaient pour briguer les suffrages ; il désignait les candidats, les prenait ordinairement parmi les personnes qui, au barreau, dans la presse, dans la finance, avaient acquis, sous ses yeux, quelque renom. Le sentiment de localité des électeurs ne se montrait pas bien exigeant, et les conditions qu’on avait à remplir pour le satisfaire étaient des plus simples. C’était ordinairement un extrait de naissance qui prouvait qu’on ne s’était rendu quelque peu célèbre à Paris que pour la plus grande gloire de l’endroit dont on était originaire ; c’était un domaine qu’on voulait bien aller habiter deux ou trois mois de l’année, pendant les vacances parlementaires ; c’était enfin un lien de parenté ou d’affection qui vous rattachait à quelque notabilité influente de l’arrondissement. La chambre se recrutait de Parisiens que les collèges électoraux très humblement investissaient de l’honneur de les représenter. L’urne électorale n’était qu’un écho fidèle de l’opinion de Paris, et le son qu’elle rendait s’appelait alors la voix de la France. Quelques individualités indépendantes surgissaient bien de temps à autre du sein de la province ; mais, par l’effet attractif de la véritable puissance, elles perdaient bien vite, dans l’atmosphère parlementaire et au contact du monde officiel, la couleur trop vive du terroir et se laissaient absorber. Cette omnipotence de la capitale devait naturellement cesser avec le suffrage universel. Toutefois on se tromperait,