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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/449

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si on n’expliquait l’avènement des départemens à la vie politique notre nouveau principe d’élection. Ce fait, qui frappe aujourd’hui tous les regards, a une cause plus élevée, et dont il est nécessaire de se rendre compte, si l’on veut connaître exactement la situation du pays.

Lorsque la révolution de février éclata, Paris (nous entendons parler de la portion calme et paisible de ses habitans) ne put croire que ce mouvement fût uniquement le résultat d’un coup de main hardi. Comment penser qu’un pouvoir appuyé sur la majorité des chambres, sur l’armée, entouré de la force morale que donne toujours un long règne de paix et de prospérité, pût être renversé par quelques émeutiers audacieux et comme par surprise ? En France, on aime à expliquer les grands événemens par de grandes causes. Paris ne voulut pas croire qu’un bouleversement aussi profond fût la victoire d’une poignée de soldats des sociétés secrètes, qui, embusqués derrière les légions de la garde nationale, avaient transformé les cris de vive la réforme en cris de vive la république. Il se plut à penser que cette révolution était le fait de la force démocratique s’ouvrant une plus large voie et s’emparant définitivement de la souveraineté. Cette explication avait le double avantage d’être logique et de justifier en quelque sorte la faiblesse avec laquelle on avait laissé tomber la royauté. C’est ce qu’on se disait de bonne foi dans la capitale ; on acceptait le fait accompli, et chacun ne se préoccupait plus que de plier son intérêt, ses convictions, son existence au nouvel ordre de choses issu de cette immense commotion.

On avait bien quelque méfiance à l’endroit des institutions républicaines ; mais on imposait silence à ce sentiment, et l’on se soumettait au gouvernement nouveau comme les esprits timides se soumettent à la fatalité, avec cette excuse que le sort n’admet pas la discussion. D’ailleurs, en face de soi, on avait une puissance révolutionnaire, armée de la dictature, délibérant sur la place publique et toujours prête à faire appel à la force. On se serait bien gardé de l’irriter et on lui savait gré de tous les excès de pouvoir qu’elle ne commettait pas. On s’empressait autour d’elle ; l’armée, la magistrature, lui apportaient leur adhésion. On proclamait la mansuétude des vainqueurs, parce que les maisons n’étaient pas pillées, parce que les citoyens tranquilles chez eux ne couraient pas risque de la vie. M. de Lamartine était un nouveau Curtius, parce qu’il avait écarté le drapeau rouge d’une main indignée, pour relever le drapeau de notre affranchissement et de notre gloire. Les habitans de Paris ne pouvaient douter qu’ils n’assistassent à un de ces grands cataclysmes qui bouleversent l’existence des peuples et leur ouvrent de mystérieuses destinées. Le Luxembourg retentissait des enseignemens de M. Louis Blanc, où toutes les notions du juste et de l’injuste, du vrai et du faux, étaient outrageusement perverties ;