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ouvert à toutes les séductions, capable de tous les entraînemens. Ils conçurent le projet de s’emparer de la force qu’il portait en lui, d’user de sa popularité d’emprunter son éloquence pour désarmer les représentans, et exercer sur eux cette fascination qui colore le faux et lui donne l’aspect du vrai. M. de Lamartine était l’homme de la situation. Les acclamations de la France le désignaient pour le chef du gouvernement, quelle que fût sa forme ; mais cette manifestation, par le sentiment même qu’elle exprimait, lui imposait l’obligation de rompre avec le parti révolutionnaire et de l’attaquer dans toutes ses positions. Comment est-on parvenu à tourner M. de Lamartine contre lui-même, à le faire réagir contre sa propre puissance ? En flattant son orgueil, en offrant à son imagination un rôle en rapport avec son éloquence théâtrale, en ouvrant des perspectives étendues à son amour de l’inconnu et des aventures. Ce grand poète, quelque soin qu’il prenne pour se donner l’attitude d’un homme d’état, est toujours poète, et n’aurait plus rien à faire sur la scène politique, si elle venait à perdre le caractère dramatique que nous lui imprimons depuis cinquante ans. Aussi que lui disait-on pour le détourner de sa mission ? — Deux forces existent dans le gouvernement provisoire l’une, active et d’impulsion ; l’autre, passive et de résistance. Si elles se séparent, c’est la lutte ; c’est le déchirement qui s’opère dans le sein même de la république. Si elles restent unies, si elles s’associent, si elles se combinent, elles deviennent prépondérantes et dominent les anciens partis épars dans le pays. L’une et l’autre s’entr’aideront et se fortifieront ; l’une soufflera la vie révolutionnaire ; l’autre la contiendra et la réglera. Si ces élémens de natures différentes, mais non opposées, puisque l’un et l’autre procèdent de la révolution de février, se disjoignent, l’œuvre commencée est compromise et risque de disparaître dans un honteux avortement ou dans un conflit sanglant. Ne faut-il pas que les hommes qui portent avec eux la régénération de la France se placent au-dessus des préjuges de la foule, leur résistent, les froissent même, s’il est nécessaire, pour conduire le peuple à ses nouvelles destinées ? L’histoire ne nous apprend-elle pas que tel est le rôle des individualités prédestinées que Dieu fait apparaître dans les momens de crise et de perturbation générale, pour diriger dans les voies du progrès les populations inquiètes et troublées ? Que M. de Lamartine, au lieu d’un triomphe éphémère décerné par cette bourgeoisie poltronne qui l’implore à genoux, ose s’emparer des deux forces contenues dans la commission de l’Hôtel-de-Ville, qu’il se les assimile toutes les deux ; qu’il leur imprime une cohésion énergique ; qu’il les résume et les soumette en sa personne à l’unité : alors, sous leur commune influence, il sera le symbole vivant de la révolution.

Ce n’est pas une supposition que nous faisons en disant que telles