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amène dans cette route qu’ils nous font faire. Nous ne sommes pas bien sûrs que cette république politique et modérée, à laquelle nous travaillons loyalement, soit tout-à-fait possible en France ; mais nous sommes certains que la république sociale et pure est impossible. Il n’y a donc pas à choisir pour qui veut travailler sans tout perdre.

Le mérite incontestable du cabinet, c’est d’entrer sans sourciller sur ce chemin clair et droit où l’on oblige ainsi l’ennemi lui-même à venir ; c’est un chemin de bataille, mais du moins il ne s’y rencontre pas de ces tâtonnemens, de ces surprises, de ces erreurs qui ont gâté la conduite d’hommes auxquels nous avons à regret reproché tout cela, parce qu’ils étaient dignes d’avoir une carrière plus nette. La pensée d’un gouvernement se révèle beaucoup dans le choix des personnes ; il n’y a qu’une voix sur les nominations récentes émanées de la chancellerie ; celles qui ont été signées aux ministères de l’intérieur et des affaires étrangères devaient naturellement prêter davantage à la discussion. On peut cependant résumer en deux mots l’esprit général qui les a dictées, et cet esprit est excellent : garder tous les hommes honorables et capables que la révolution de février a çà et là produits au jour, rétablir tous les hommes honorables et capables qu’elle avait brutalement chassés. La révolution se trouve ainsi réduite à son expression la plus juste et remise elle-même à sa place. Il nous paraît donc très simple et très bien arrangé que M. Armand Lefèvre, l’auteur d’une histoire diplomatique de l’empire si consciencieuse et si substantielle, quitte Carlsruhe, où février l’avait envoyé, pour aller maintenant à Munich, tandis qu’au contraire M. Emmanuel Arago rentre au palais dont il était l’ornement, pour céder à M. de Lurde la légation de Berlin ; chacun son lot. Celui de M. Thouvenel était marqué ; il avait trop bien géré nos affaires en Grèce du temps des grandes incuries de M. de Lamartine pour ne pas devenir enfin titulaire du poste d’Athènes. Les préfets de la façon de M. Faucher ont soulevé contre lui des clameurs qui ne l’ont empêché ni de les prendre où il voulait, ni de les faire à lui tout seul ; M. Faucher n’a jamais peur de déplaire à quelqu’un : ce défaut-là vaut presque une qualité dans un temps où l’universelle manie est de plaire à tout le monde ; nous honorons surtout le courage bien placé avec lequel il a inscrit au nombre des serviteurs du pays l’un des fils de M Rossi : c’est une protestation vivante contre la république de l’assassinat.

Cette décision qu’on a portée dans le renouvellement du personnel, on l’a témoignée par des actes encore plus significatifs, et toute cette quinzaine atteste au sein du gouvernement la fermeté d’un parti pris. Le 17, M. Barrot soumet à l’assemblée un projet de loi qui a pour objet de renvoyer les auteurs et les complices de l’attentat du 15 mai devant la haute cour nationale, et non pas devant le jury ordinaire ; il demande l’urgence. Le même jour, M. de Champvans ayant voulu prendre l’initiative d’une mesure définitive contre les clubs, M. Barrot et M. Faucher la réclament et obtiennent qu’on cède au gouvernement l’honneur de cette initiative courageuse. Le lendemain, les bureaux prononcent l’urgence sur la proposition ministérielle ; le 20 et le 22, la discussion publique s’engage et se termine. Le principe de rétroactivité, salutaire et sacré en matière de dispositions pénales, ne saurait l’être en matière de procédure et de compétence : M. Dupin établit surabondamment ce point de droit avec tout son talent de jurisconsulte. La montagne voudrait l’abîmer sous les injures, et n’y gagne que de