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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/510

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REVUE DES DEUX MONDES.

aussi bien d’urgence en Hollande que partout ailleurs, et pas plus qu’ailleurs elles n’y sont faciles ; on n’est pas très tenté de s’en disputer l’exécution. Les questions de cabinet et les guerres de portefeuilles sont néanmoins de tous les instans, nous nous en apercevons trop nous-mêmes ; elles sont aussi de tous les pays, et la sagesse hollandaise n’en défend pas les législateurs de La Haye. À voir de près cette seconde chambre, il se pourrait qu’il s’y formât deux ou trois petites minorités, l’une autour de M. Van Hall, l’autre autour de M. Thorbecke, la troisième avec quelques libéraux moins constitutionnels que la masse, et ces minorités réunies ne laisseraient pas d’embarrasser le ministère, qui n’a d’acquises que les 23 voix de l’ancienne chambre. On pense que l’on pourrait bien engager la bataille sur le budget rectifié que le cabinet a soumis récemment au roi. Le cabinet veut garder les deux ministères du culte catholique et du culte réformé ; on le démolirait en lui retranchant par un vote ce luxe administratif qui lui assure deux membres de plus.

La composition de la première chambre est moins heureuse que celle de la seconde. Les mêmes électeurs qui nomment la seconde ont présenté au roi cent trente-six candidats, entre lesquels le prince, avec l’avis de son conseil, mais pour cette seule fois et comme expédient de rigueur, a choisi trente-neuf personnes. Ce choix n’a rien eu de précis et de significatif ; il semble qu’on ait voulu éviter d’arborer un principe plutôt qu’un autre. Parmi les membres de la première chambre de 1849, il y en a huit qui siégeaient dans celle de 1847 ; mais, de ces huit, les uns sont conservateurs, les autres libéraux, quelques-uns uniquement attachés à M. Van Hall. Des trente-un membres nouveaux, plusieurs appartiennent à la haute aristocratie, et l’on ne connaît point encore leur nuance. Le prince Frédéric qui avait été porté au nombre des candidats dans plusieurs provinces, a décliné le choix du souverain ; M. Baud, ancien gouverneur des Indes et ministre des colonies, désigné par la seconde ville commerciale du royaume, n’a pas été accepté, tandis que cette faveur était conférée au ministre des affaires étrangères, M. Lightenveld. À tout prendre, il y a dans cette chambre bon nombre de personnes utiles et respectables, mais pas une qui puisse jouer un grand rôle politique et gêner la marche du cabinet.

Nous nous étendons avec quelque satisfaction sur le tableau de ce paisible mouvement d’un gouvernement régulier ; nous aimons à contempler ces pouvoirs déjà bien assis, même après qu’une réforme en a changé la base, ces libertés qui jouent à l’aise dans un cercle légal, ces opinions droites et sensées qui cherchent, qui reconnaissent si volontiers des limites, tout ce progrès contenu, toute cette vie patiente et sérieuse d’un pays sage. Il en coûte de retourner ensuite à la mêlée sans but qui nous entraîne ici comme un tourbillon. Il en coûte de se retrouver, chez soi, au milieu des passions factices ou mauvaises qui sacrifient la chose publique à des phrases sonores ou à des calculs misérables, et l’on a beau se répéter qu’on est l’enfant de la grande nation, qu’on n’a qu’à souffler sur le monde pour l’allumer ou l’éteindre, on ne peut encore s’empêcher, du haut de cette poésie, d’envier la froide honnêteté de ce petit peuple prosaïque et positif, comme l’appellent ceux qui ne sont pas dignes d’apprécier ses solides vertus.



V. de Mars.