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L’on ordonne à tous capitaines et gens de mer qu’ils auront à couler à fond tous les vaisseaux qu’ils ne pourront pas mener dans le port de Dunkerque et qu’au regard des Hollandois et autres rebelles ils ne couleront pas seulement à fond leurs navires, mais aussi leurs équipages, à moins que d’en pouvoir tirer une très grande et extraordinaire rançon. En suite de cette ordonnance, dit un procès-verbal du 27 septembre suivant, le capitaine Antoine Ricx déclare avoir fait jeter à la mer, depuis le 24 août, soixante-deux personnes, et le magistrat en prend notice sur les registres de la ville. Les Hollandais, de leur côté, ne ménageaient pas davantage leurs ennemis.

Le cardinal de Richelieu mourait en 1642, mais il laissait l’Espagne blessée au cœur, avec le sentiment de sa faiblesse, la France saignante peut-être mais pleine du sentiment de sa puissance. Les plus braves généraux du règne de Louis XIII étaient encore dans la force de l’âge, et la génération qui devait faire les grandes choses du règne de Louis XIV commençait à secouer ses armes. La guerre recommença bientôt en Flandre ; Gravelines fut pris le 30 juillet 1644. L’année suivante fut marquée par des succès balancés ; mais, en 1646, le prince de Condé, alors âgé de vingt-cinq ans et déjà vainqueur à Rocroy, à Fribourg, à Nordingue, prend, avec les maréchaux de Gassion et de Rantzau pour lieutenans, le commandement de l’armée de Flandre. Cassel, Bergues, Furnes, Hondscote, Mardyck, sont bientôt enlevés : d’énormes difficultés s’opposaient encore à la prise de Dunkerque, mais Condé, seul de son avis dans le conseil de guerre, résolut le siége, voulant, dit-il, rétablir le commerce du royaume que cette seule ville ruinait sur l’océan, ôter au roi catholique le port fameux qui entretenait la communication entre l’Espagne et Ie Pays-Bas, et jugeant que, dans la situation des affaires de France en Flandre, il ne pouvait rendre un plus grand service au roi que de lui soumettre Dunkerque. L’impétueux jeune homme assura le succès de cette entreprise par des précautions qui étonnèrent la prudence des plus vieux généraux, et, après un siége dans lequel furent faits de part et d’autre des prodiges de valeur, la ville capitula le 10 octobre.

Le premier gouverneur de Dunkerque fut le maréchal de Rantzau. Il avait beaucoup contribué au succès de la campagne et le consolida en faisant aimer à un peuple brave et bon comme lui sa nouvelle patrie. La fortune, qui lui devait un champ de bataille pour lit de mort, le laissa finir d’une hydropisie en 1650. Il avait alors quarante-un ans ; il lui manquait un œil, une oreille, une main, une jambe, et ceux qui enveloppèrent dans son linceul comptèrent sur lui les cicatrices de soixante blessures ; il n’y eut donc aucune exagération à graver sur sa tombe ces vers connus d’un poète ignoré :