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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/550

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I. — RÉBECCA SHARP ET AMÉLIE SEDLEY.

La vie humaine en Belgique, l’an de grace 1815, peu de temps avant Waterloo, était chose curieuse et mêlée. On s’amusait beaucoup à Bruxelles et à Gand, villes remplies d’Anglais, dont la froideur constitutionnelle et l’étiquette, convenue fondaient et disparaissaient dans l’immense tumulte joyeux et la confusion presque démocratique du moment. Il y avait là jusqu’à des amateurs, par exemple le nabab Joseph Sedley, le gastronome, collecteur des impôts britanniques à Bogleywollah. Il était plus beau et plus dandy qu’à son ordinaire. En vain chercherions-nous en France le type de ce nabab gastronome, estomac infatigable, bienveillant envers quiconque respecte sa vanité et ses plaisirs, et venant assister en bâillant à une bataille qui décide du sort du monde. Tel était Joseph Sedley, revenu des Indes récemment, et qui brillait à l’opéra de Bruxelles, près de sa sœur, en habit à la polonaise orné de miraculeux brandebourgs et se posant tour à tour comme don Juan et comme Achille, mangeur de cœurs et foudre de guerre. Nous retrouverons plus tard cet innocent original, spécimen assez commun dans l’Angleterre de ce temps-là du côté de la France étaient le sérieux tragique, l’ardeur de ressaisir le pouvoir perdu et aussi le triste pressentiment de l’avenir ; du côté des Anglais, je ne sais quoi de plus enfantin et de moins civilisé se mêlait aux terribles intérêts qui allaient se débattre et se décider. La société britannique bourgeoise avait été tenue dans une profonde ignorance des affaires coontinentales ; c’est à la bourgeoisie qu’appartenaient le nabab Sedley, la petite Amélie sa sœur, mariée à George Osborne, et Osborne lui-même, officier d’infanterie dans l’armée anglaise.

En face de Sedley et de sa sœur, accompagnés d’une grosse femme de colonel enturbannée, se trouvaient trois personnes que contenait une avant-scène et entre lesquelles cette conversation eut lieu :

— Connaissez-vous cette belle dame à turban jaune, avec un oiseau de paradis et une énorme montre au côté ? Bon ami, qu’est-ce que cela peut donc être ?

La personne qui parle ainsi, Rébecca Sharp, femme du capitaine de dragons Rawdon Crawley, n’est pas d’une beauté régulière ; petite et bien faite, son front est haut et lisse, ses sourcils droits se rejoignent et se touchent, son œil clair et transparent étincelle de cette clarté verdâtre que les Grecs estimaient si fort, et qui donne au regard une expression extraordinaire. Des cheveux blonds d’une extrême finesse et d’une teinte dorée où se jouent des reflets brunâtres retombent sur des épaules d’une forme exquise et d’une parfaite élégance. Rébecca, toujours polie envers son mari dans l’intérieur, était en public tendre et charmante pour lui.