à Queen’s Crawley, et près de leur mère, qui est plus malade que notre amie. Ne soyez point jalouse de moi, chère miss Briggs ; je suis une pauvre fille sans amis et sans intrigue ; je ne veux point vous supplanter dans les bonnes graces de miss Crawley ; elle m’oubliera huit jours après mon départ, et son affection pour vous date de loin. Donnez-moi, je vous prie, un peu de vin, chère miss Briggs, et soyons amies.
La douce et tendre Briggs tendit sa main en silence, mais n’en sentit que mieux sa peine et gémit amèrement sur l’inconstance de Mathilde. Au bout d’une demi-heure, et le repas fini, Rébecca remonta dans la chambre de la malade, d’où elle renvoya, avec la politesse la plus condescendante, la pauvre domestique Firkin. « Je vous remercie, cela est tout-à-fait bien ; vous vous en acquittez à merveille. Je sonnerai, s’il faut quelque chose. Je vous remercie. » Firkin descendit, couvant une orageuse jalousie, et prête à étouffer de rage concentrée.
Ce jeu comique de rivalités et d’intérêts divertissait la vieille malade. Je ne suis pas bien sûr que, malgré la finesse de Rébecca, en dépit de sa gentillesse et de son infatigable bonne humeur, la clairvoyante et fine miss Crawley, à qui tous ces trésors d’amitié étaient prodigués, ne soupçonnât point, quelque chose d’analogue chez son affectueuse amie. Miss Crawle y avait souvent pensé que personne ne fait rien pour rien. S’interrogeant sur ce que lui inspiraient les autres, il lui était facile de deviner ce qu’ils sentaient pour elle, et peut-être se disait-elle tout bas cette grande vérité, — qu’on n’a d’amis qu’à la condition de ne pas toujours penser à soi.
Toutefois Rébecca lui plaisait fort et la distrayait. Mathilde lui donna deux robes neuves, un vieux collier et un châle, et lui prouva son amitié en médisant devant elle de toutes les personnes de son intimité (quelle plus grande preuve de considération pouvait-elle lui donner ?) ; elle songeait vaguement à lui procurer plus tard quelque grand avantage, peut-être à la marier à Clump l’apothicaire, à la mettre dans une bonne situation, ou, au pis aller, à la renvoyer à Queen’s Crawley, lorsqu’elle en aurait fini avec elle et que la saison de Londres serait arrivée. Comme beaucoup de personnes riches, miss Crawley recevait volontiers de ses inférieurs tous les services possibles et les congédiait affectueusement quand elle n’avait plus rien à en attendre. Pour les vrais égoïstes, la reconnaissance n’existe pas ; ils reçoivent les bienfaits comme de pures dettes. — Vous n’avez pas trop à vous plaindre, pauvres parasites, tristes complaisans ; votre amitié pour les riches n’est pas plus sincère que le retour dont ils la paient. C’est l’argent que vous aimez et non l’homme, et, quand Plutus porte ailleurs ses faveurs, vous savez où faire émigrer vos complaisances.
Rébecca passa donc quelque temps chez miss Crawley, de l’aveu du membre du parlement, frère de celle-ci. La vieille fille était à demi