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là, prit comme une physionomie distincte et contracta les signes reconnaissables qui ne se perdent plus. Un de ces traits décisifs, c’est sa prodigieuse lucidité d’esprit, c’est ce pouvoir si rare de rester calme au milieu des émotions publiques, ou plutôt de ne se livrer qu’en parfaite connaissance de cause et avec la ferme volonté de n’être jamais dupe. Passionné, aventureux, il l’était sans doute ; mais comme la finesse du jugement venait à propos rectifier les entraînemens du cœur et lui défendait de s’égarer ! Voilà le fond même du caractère de Louis Boerne. Pourquoi faut-il que les dernières années de sa vie aient été infidèles à cette vocation de son ame ? Il est triste que les démagogues aient pu engager dans leurs voies tortueuses un esprit si fin et si défiant, une ame si sincère et si droite. Celui qui avait su démêler le vrai et le faux dans l’entraînement populaire contre la France, celui qui, jeune encore et malgré l’enthousiasme aveugle des universités, avait compris que la défense du pays n’exigeait pas la haine de la révolution et de ses idées, celui-là était bien digne assurément d’opposer, vingt ans plus tard, la même netteté d’esprit aux ridicules entreprises de la démagogie. L’Allemagne était alors sous le joug de Napoléon, et les ressentimens terribles qui firent explosion en 1813 commençaient à gronder sourdement. On sait que les meilleurs esprits de cette époque se laissèrent prendre à un faux patriotisme dont les royautés de l’Allemagne firent leur profit ; on sait avec quel art toutes les questions furent brouillées et comme la haine de la France arrêta pour long-temps le légitime travail des libertés constitutionnelles. Que les poètes aient poussé des cris de guerre et soulevé les peuples contre nous, rien de mieux : Koerner est un adversaire loyal que nous honorons sans peine ; mais que des publicistes et des philosophes aient confondu à plaisir tous les termes du problème, qu’ils aient attaqué à la fois et l’esprit de 89 et l’ambition du conquérant, c’est là une faute énorme, une faute que l’Allemagne a chèrement payée. Louis Boerne vit plus clair dans ces questions confuses. Malgré son dévouement à son pays, et bien qu’il ait pris part, en 1813, à une ardente polémique contre Napoléon, il comprit que le patriotisme s’égarait. Au moment même où la main de l’empereur pesait le plus violemment sur les peuples germaniques, il comprit que la France n’en était pas moins le foyer du monde nouveau et la sauvegarde de l’Allemagne contre l’absolutisme des cabinets du Nord. Cette idée le guidera toute sa vie ; son plus sérieux honneur est de l’avoir conçue en 1809. Ce n’est pas un médiocre mérite de protester ainsi, jeune encore et sans nom, contre l’erreur peuple entier qui s’enthousiasme à faux.

Cette ironie de la fortune, qui fit naître Louis Boerne d’une famille de diplomates subalternes, nous réserve encore d’autres surprises dans l’histoire de sa vie. Après quelques années d’études à Halle, voyant