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doctrine de son maître par les inspirations de la vie pratique, le profond, l’éloquent Édouard Gans, vint aussi à Paris et s’associa, comme le publiciste de Francfort, au généreux enthousiasme de l’opposition libérale. La France agissait alors par les idées sur les peuples allemands, elle préparait par les travaux de l’esprit les futures victoires de la liberté constitutionnelle, et cette brillante phalange, que conduisait Benjamin Constant et Casimir Périer, Laffitte et le général Foy, fut aussi féconde pour les progrès de l’Allemagne que notre démagogie de 1848 a été stérile ou désastreuse.

Les sept ou huit années qui s’écoulent entre ce premier séjour à Paris et la révolution de 1830 forment la période brillante de la vie de Louis Boerne. Les dispositions fécondes que nous analysions chez lui tout à l’heure, ce vrai talent de critique et de publiciste est désormais dans toute sa maturité, et l’enthousiasme qu’il a puisé à Paris multiplie ses forces. C’est l’époque de sa guerre avec la censure, de ses courageuses protestations contre les lois qui oppriment la presse, de ses luttes infatigables au nom de tous les droits méconnus. L’ironie, la finesse, la parfaite élégance de son style, lui assurent partout des lecteurs, et ces dons aristocratiques de l’esprit consacrés à la défense du droit commun ne font pas seulement l’originalité de l’écrivain, ils sont la meilleure tactique qu’on ait employée à la transformation de la vieille Allemagne. Henri Heine, inspiré par lui, entre avec éclat dans la lice ; les Reisebilder paraissent en 1826. De mesquines circonstances, plusieurs de ces froissemens, inévitables dans la vie littéraire, qui prennent souvent des proportions ridicules, ont séparé plus tard ces deux hommes ; réunissons-les aujourd’hui. J’oublie tout ce qui s’est passé, je supprime toutes les traces de ces divisions funestes, je jette au feu le livre de M. Henri Heine sur son rival, sur son maître ; encore une fois, j’oublie tout, et ne veux me rappeler que leur communauté de sentimens, leur vaillante fraternité sur les mêmes champs de bataille. Louis Boerne et Henri Heine sont les deux chefs de la génération littéraire qui occupe aujourd’hui la scène, et tous leurs disciples ne sont pas encore nés ; en donnant à la littérature allemande les qualités françaises, la netteté et le bon sens, l’agilité et la gaieté, ils ont fait une révolution durable. Louis Boerne ne se contentait pas d’accroître chaque jour sa légitime influence sur son pays, il continuait de tenir ses yeux attachés sur la France ; ses œuvres complètes renferment tout un volume sur les principaux ouvrages parus chez nous de 1825 a 1830. N’est-ce pas un intéressant spectacle de voir ce critique étranger, qui, de Berlin ou de Francfort, s’associe à toutes nos luttes ? La phalange du Globe n’a pas su qu’elle avait en Allemagne un auxiliaire si dévoué : elle n’a pas su qu’un disciple de Jean-Paul et de Lessing surveillait alors, au nom des mêmes idées, le travail intérieur de notre littérature,