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royale famille qui a récemment quitté cette résidence pour Richmond y vivait fort retiré. Sans se murer dans un cérémonial qui ne fut jamais de son goût, elle n’accueillait qu’avec réserve ceux de nos compatriotes dont le nom n’était pas connu aux Tuileries ; car elle avait à craindre, dans sa position, soit l’hommage importun d’une curiosité banale, soit les obsessions intéressées des faiseurs de projets. La maison de Claremont était sur le pied le plus modeste : cinq ou six domestiques à peine ; Louis-Philippe n’avait même pas voulu garder la calèche de louage qu’il avait arrêtée à son arrivée en Angleterre. La famille allait chaque dimanche entendre la messe dans la plus déserte des chapelles catholiques, et c’est en fiacre qu’elle s’y rendait. Les repas où régnait la plus stricte économie, étaient pris en commun. Comme à la table des petits bourgeois de Londres, on n’y buvait que de la bière ; le vin était un luxe scrupuleusement réservé pour le dessert. Même simplicité en tout. Les princesses étaient vêtues d’étoffes communes : elles ne portaient ni soie, ni dentelles, ni bijoux. Une susceptibilité honorable, le désir de n’être pas à charge à l’hospitalité anglaise, qui eût voulu d’ailleurs se montrer large pour les illustres vaincus, expliquent cette royale pauvreté, ou il n’y avait, quoi qu’on l’ait dit, rien d’affecté. Loin de là : la famille exilée mettait certain orgueil à s’abstenir de plaintes ou la malveillance aurait pu être tentée de voir un appel peu digne à la commisération de la république, dont elle n’entendait solliciter que la justice. La publication faite par un journal d’une lettre ou le prince de Joinville révélait à un de ses compagnons d’armes l’espèce de pénurie qui régnait à Claremont indisposa très vivement Louis-Philippe, Marie-Amélie et le duc de Nemours.

À part de rares excursions, soit à l’intérieur, soit au bord de la mer, la vie des exilés était on ne peut moins accidentée. La pêche était à Claremont l’unique distraction des princes, qui y consacraient des journées entières. Quand elle n’était pas souffrante, ce qui est devenu son état habituel, Marie-Amélie se joignait souvent à eux. Le père partageait les tristes loisirs que la révolution lui a faits entre la lecture des journaux français, anglais et allemands et les ennuis d’une inaction morose. Le coup qui l’a si rudement atteint dans ses légitimes espérances l’a plus cruellement frappé encore dans ses habitudes, en lui enlevant l’emploi de cette prodigieuse activité de détail qui faisait de lui le plus affairé des propriétaires et le plus paperassier des rois. Aussi est-il très abattu et très vieilli. Charles X banni se taisait sur les événemens ; Louis-Philippe aime au contraire à les discuter, et il les discute souvent avec une remarquable liberté d’esprit. Par une tendance naturelle au cœur humain et qui se justifie du reste ici par plus d’un côté, il voit, bien entendu, dans chacun des mécomptes, des désordres, des malheurs que la révolution a fait surgir, l’apologie de