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— C’est à nous de la retrouver, en suivant à la piste toutes les traces que les siècles ont laissées dans la tradition populaire, dit le capitaine ; mais les savans méprisent la tradition à cause des erreurs dont elle est enveloppée : c’est toujours la fable de la jeune guenon rejetant la noix verte qu’elle n’a point su éplucher :

Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.


Au lieu d’interroger les réminiscences confiées à la mémoire, qui, si elles ne rendent pas exactement les faits, en transmettent au moins le mouvement, on cherche l’histoire dans les procès-verbaux, comme on chercherait une prairie dans la botte de foin qui y a été coupée ; on trouve la vie trop complexe, trop mouvante, et, pour plus de commodité, on étudie la mort. Tous les historiens du duché de Normandie, par exemple, ont voulu étudier les actes et les chartes qui faisaient connaître les circonstances de la conquête anglaise ; aucun n’a cherché le caractère intime du conquérant dans ce que le peuple raconte du vieux Guillemot.

Le paysan, qui marchait à quelques pas devant nous, se retourna brusquement à ce mot.

— Voyez-vous comme ils reconnaissent le nom de leur gros duc ? continua le percepteur en souriant ; Guillemot est chez nous ce qu’est le roi René chez nos voisins d’Anjou : l’omnis homo de la chronique populaire.

Et il se mit à chantonner :

Quand est arrivé sur la place,
Le gros roi Guill’mot attendoit,
Tout près d’ s’en aller à la chasse,
Son noir genet qu’on habilloit.

— Tu sais ce que c’est que cette chanson-là, hein, Ferret ?

— C’est la complainte de la Croix pleureuse

— Où l’on raconte la fureur de Guillemot contre la duchesse Mathilde, qui avait eu l’imprudence de lui demander l’établissement d’un impôt sur les bâtards.

Au g’net par trois nœuds il l’attache
Et ses mains par trois nœuds aussi ;
Partout où avec elle il passe,
Les mouch’s vont pour boire après lui.

— Sir’! que Dieu jamais ne vous l’ rende,
Un jour grand dépit vous aurez
D’avoir traîné par la grand’ brande
L’joli corps qui tant vous aimoit.