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RÉDEMPTION. 717 MADELEINE. Est-ce que vous êtes dévot? MAURICE. Comme il vous plaira. Je suis religieux et je crois au devoir. MADELEINE. M* avez- vous reconnue ce soir dans Téglise? MAURICE. Pas dans le moment; mais, depuis, j’ai su que c’était vous. MADELEINE. Et qu’avez-vous pensé que j’allais faire là? MAURICE. Rien. Changer d’air. MADELEINE. Changer d’air, en effet. ( Elle se lève et marche par la chambre. Après un silence :) Et si je voulais changer de vie, que diriez-vous? MAURICE. Je ne serais pas surpris que la pensée vous en fût venue. 11 arrive un âge où les honnêtes femmes sont tentées par le mal : en revanche, les autres ont leurs crises de vertu; mais se perdre est plus facile que se sauver, et ces caprices d’hon- nêteté ne sont guère que des comédies qu’on se joue à soi-même pour se divertir un moment. On se met sur le visage un masque de vertu pour savoir quelle mine cela vous fait, et on s’en tient là. MADELEINE , s’arrêtant brusquement près de lui. Et si je vous aimais, Maurice? Comédie encore, n’est-ce pas? MAURICE. Peut-être bien. MADELEINE. Et si vous me voyiez brisée de regret et de honte pour des fautes bien moins graves et bien moins nombreuses que vous ne l’imaginez, Maurice, allez, — co- médie toujours, dites? MAURICE, d’une voix basse et triste. Je ne sais. MADELEINE. Vous êtes injuste, vous êtes dur... (Elle s’appuie sur le dos du fauteuil où Mau- rice est assis.) Vous n’avez aucune idée de ma vie; il n’y a pas grand mérite, voyez-vous, à être une femme de bien quand on a été élevée dans une famille de braves gens par une bonne mère La mienne était bohème, mais une vraie bohème, une Égyptienne qui jouait la comédie dans les granges de vil- lage.... Elle était jalouse de moi et me battait quand j’étais plus applaudie qu’elle; voilà les premières leçons de morale que j’ai reçues; je vous passe les autres, qui sont à l’avenant Je suis née sur les planches; on ne m’a jamais mis entre les mains que des livres de théâtre : ni grammaire ni catéchisme, d’ail- leurs.... Si je ne suis pas la dernière des ignorantes et des filles perdues, c’est bien à moi seule que je le dois, à la fierté de mon ame... J’ai appris peu à peu, à force de patience et de courage, tout ce que je sais car, du jour où j’ai vu